Page:Leo - Marie - la Lorraine.djvu/119

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pour cela, j’espère, ne pourront pas durer. Cependant, si tous ceux qui ressentent le plus d’indignation de cette infamie quittent nos provinces, il n’y restera donc plus que les insouciants pour tenir tête comme il faut aux ennemis de notre pays et garder l’amour de la France ? Non, ça n’est pas le moyen ; et, pour moi, je pense que notre devoir est d’aller tenir bon là-bas, de cœur et de langue, comme nous avons tenu bon à coups de fusil quand il en était saison.

Marie trouva qu’il avait raison, et ils retournèrent au pays avec petit Pierre, qui ne les avait pas quittés.

Hélas ! quels changements ils trouvèrent, et combien ce leur fut douloureux de voir la dévastation des lieux qu’ils avaient aimés ! Ils eurent en outre un grand embarras : l’ancien propriétaire du Bourny, qui était allé pendant la guerre se promener en Belgique, réclamait aux héritiers Chazelles le dernier paiement du prix de vente, 3, 600 francs ou à peu près. On se rappelle que cette somme, économisée par Chazelles, avait été prise par les Prussiens. Maintenant, où trouver tant d’argent ?

La maison et les bâtiments étaient brûlés, le bétail enlevé, les terres abîmées ; même les instruments de culture manquaient. Les enfants de Mathurin, qui tous auraient voulu garder le bien de leur père, essayèrent vainement d’obtenir du temps. Ils représentèrent au créancier qu’il n’était pas juste que lui seul n’eût rien supporté des maux de la guerre, que ceux qui avaient combattu et souffert auraient eu droit à moins de rigueur : il ne voulut rien écouter, et il fallut vendre.

Ce fut Bruckner qui acheta, comme faisaient tant d’autres Allemands, enrichis des dépouilles de la France. Il va sans dire que, dans la misère du pays, les biens avaient grandement baissé ; le Bourny, déjà payé par Chazelles, en