Page:Leo - Soeur Sainte-Rose.djvu/30

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cupés du même ouvrage, et le dimanche des mêmes jeux. Avec l’âge, notre amitié devint plus forte encore ; enfin, j’avais à peine dix-huit ans, quand Julien me dit qu’il ne voulait point d’autre femme que moi. Et moi aussi, je l’aimais ; je l’aimais de toute mon âme. Quand il me parla ainsi, pourtant, je ne pus m’empêcher de pleurer, prévoyant les malheurs que nous aurions. En effet, ses parents furent indignés qu’il songeât à s’allier avec une fille de mon espèce, qu’ils regardaient comme étant de trop sur la terre, puisqu’elle n’en possédait pas le moindre morceau. Ils me chassèrent, et je dus aller prendre du service ailleurs. De son côté, Julien, irrité, quitta la ferme, et pour se rendre plus indépendant, fit l’apprentissage du métier de forgeron.

» Nous nous voyions tous les dimanches. Je n’avais pas le courage de rompre avec lui, qui était à lui seul tous mes amis et toute ma famille en ce monde. Quand il eut passé vingt ans, et qu’il en vint à gagner de bonnes journées, il voulut absolument notre mariage. Malheureusement, la chose ne se pouvait sans le consentement de son père, avant l’âge de vingt-cinq ans. Plus de quatre années encore à attendre ! Cela lui semblait si long, qu’il en était comme désespéré, comme fou… et moi, le voyant ainsi, je n’eus pas non plus le courage…

» Il faut bien vous l’avouer : nous nous établîmes chez nous, comme mari et femme, sans l’être devant la loi, nous aimant pourtant de tout notre cœur et voulant élever nos enfants ensemble… C’était deux mois avant la naissance de Joséphine. Tout le monde me méprisait ; on