Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/116

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porte, et comme ça, donc, j’en mange une goulée (bouchée) ; puis, elle donne le reste à sa chèvre. Moi, tout de suite, me sens mieux ; mais v’là-t-il pas que la chèvre se met à bailler des bramées, des bramées, qu’on l’entendait de partout. Pour quant à la sorcière, elle s’en était allée, emportant la clef de l’étable, si ben que personne put entrer. Au soir, on trouva la chèvre morte, et moi fus guérie tout d’un temps.

— C’est-il clair, ça ?

— En v’là-t-une histoire !

— Allez ! allez !

Chacune se signa ; la nuit tombait, et, comme venait l’heure du souper, les femmes s’en allèrent l’une après l’autre, après avoir prodigué, chacune à leur manière, espérances et recommandations. Bernuchon alors rentra et s’assit morne près du foyer, après avoir jeté sur sa femme un coup d’œil rapide. Mlle Bertin ne put se résoudre à laisser le père et la fille abandonnés seuls à leur chagrin.

Ils n’ont rien mangé peut-être depuis ce matin ? pensa-t-elle.

Alors, feignant d’avoir faim elle-même, elle activa le feu, prit la poêle, demanda du beurre et des œufs, et avec cette habileté gentille qui la caractérisait, elle fit si bien, que Gène et son père, voulant faire honneur à leur convive, prirent suffisamment part au souper.

— Mais à présent, dit la jeune paysanne, il fait nuit, mam’zelle Lucie, et vous êtes bien loin de chez vous. Mon père va vous reconduire.

— Non, répondit Lucie, je reste ici. On devinera bien chez nous que je n’ai pas voulu vous quitter.

Assise au foyer, près d’eux, et, de tout son cœur, essayant de leur venir en aide, elle parvint à les faire causer de leur chagrin, qui de la sorte s’épanchait. De