Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

struisit en sa faveur un plaidoyer capable d’émouvoir un vieux barreau, et qui l’attendrit lui-même.

Le jour était radieux, le soleil ardent ; le chant d’une bergère s’élevait du milieu de la lande, et là-bas, à la lisière du bois des Berjolles, que longe le chemin, on apercevait trois paysans assis prenant leur repas.

C’étaient Jean, Michel et Cadet ; ils venaient d’interrompre leur travail pour la collation. Jean, sombre, ne disait rien ; Michel et Cadet causaient gravement.

— Vois-tu, Michel, disait celui-ci, je crois, comme tu dis, qu’une mauvaise action n’est jamais bonne, et déjà ne sens plus si grand transport comme cette nuit, quand le malheur m’a tombé sus la tête comme une pierre… ; car j’avais connaissance de rien, moi. Non… jamais j’aurais cru que la Lisa… Enfin !… V’là que ça me prend encore à la gorge. Voyons, pourtant, et raisonnons tous deux tranquillement la chose ; crois-tu qu’après avoir mis une jeunesse à mal, jeté dans le monde un enfant sans père et désespéré toute une famille de brave gens, crois-tu, dis-moi, qu’un chenapan comme ce Gavel doive être laissé tranquille, et qu’il ait droit de se croiser les bras après ça, et de faire le beau et le brave comme auparavant ? Ça ne serait-il pas, ça, pour l’exemple, un mal plus grand que de tuer un coquin ?

— De vrai, répondit Michel, de plus habiles que nous seraient empêchés de choisir, mon pauvre Cadet. Grand mal d’un côté, grand mal de l’autre ! Mais, c’est pas possible, vois-tu, qu’il n’y ait pas une justice pour ça.

— Non, Michel, non, y en a pas ! Mon père en sait plus long que nous là-dessus, et, après qu’il y a eu repensé toute la matinée, quand je lui disais : Y a donc ni bon Dieu ni justice ? et qu’il m’a répondu comme ça, d’une voix creuse comme un puits : Non ! c’est que pour ça, vois-tu, n’y a rien à faire avec le juge.