Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/293

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Comme le père était là, Mme Bertin suivit sa fille dans la cour.

— Tu n’y penses pas, Lucie ? J’espère que tu ne vas pas au jardin ?

— Quoi ! maman ?

— Il faut renoncer à ces promenades du soir, qui font causer, tu sais bien. C’est des Touron probablement que viennent ces méchancetés. Il faut qu’on ne te voie plus au jardin que dans la journée. On pourrait fermer la haie du côté de chez la Françoise ; mais ça ferait causer encore plus. Fais les cent pas dans la cour. Cela te fera toujours du bien.

La pauvre Lucie rentra promptement, ne pouvant supporter le supplice de voir, sans oser la franchir, la muraille derrière laquelle, assurément, Michel se consumait d’inquiétude et d’attente. Le cœur plein de larmes qui l’étouffaient, elle pleura longtemps dans sa chambre. Ce n’était plus de sa douleur à elle qu’elle souffrait. Ah ! combien je l’aime ! se dit-elle. Oh ! je l’aime trop ! À présent, je le vois bien. Mais peut-on aimer trop ? puisque l’amour est un dévouement, une chose grande, ce qu’il y a de plus noble, et puis un si grand bonheur ! Tout le mal vient de nos conditions différentes. Si j’étais une paysanne, Michel et moi nous serions bientôt mariés.

Cette idée l’émut beaucoup. Elle se vit en idée vêtue de bure, mais d’une façon élégante, et habitant la maison de Michel. Ils avaient une vache, des chèvres, un cochon, des poules, des oies, un troupeau de dindons… Alerte et gaie, elle soignait tout cela, tandis que Michel bêchait le champ et le jardin. On se rencontrait souvent, toutefois, et… faut-il le dire ? dans une de ces rencontres, un baiser tomba sur la joue de la fermière. Irritée contre elle-même, toute rouge et tout émue, Lucie courut à la fenêtre pour rafraîchir un peu son visage avant de des-