Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/368

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On a trop exalté dans la première moitié de ce siècle la fatalité de l’amour. Déclarée irrésistible et divine, la passion a justifié trop d’égarements. La recherche du vrai, souvent tortueuse et aveuglée, s’est donnée comme révélation, et tout cela n’a fait peut-être que raffermir l’attachement aux erreurs traditionnelles par l’horreur et l’effroi d’un mal nouveau. Quoique plus sensuels, les Grecs étaient plus religieux lorsqu’ils faisaient mourir Biblis plutôt que d’absoudre l’inceste, qui eût été chez eux la source d’un débordement immense. Peut-être l’Orient est-il la patrie des passions fatales, toujours exceptionnelles cependant ; mais ce n’est chez nous, surtout en ces temps, qu’un luxe nouveau ; car notre époque est adonnée surtout aux spéculations de l’intelligence. Superstition, routine ou raisonnement résument l’histoire actuelle, dans ses causes ; mais il n’y a plus de fatalité.

Lucie aimait avec toute l’énergie et tout le charme qu’une âme pure et vierge peut mettre dans l’amour. Cependant elle n’éprouvait point de passion irrésistible, et si quelque loi sacrée eût condamné son mariage avec Michel, assurément elle eût obéi ; car un sentiment vrai ne s’élève pas contre les lois légitimes du sentiment.

Aussi intelligente qu’aimante, avant de s’engager, elle se demanda solennellement à elle-même si jamais, en aucune occasion, elle aurait la faiblesse de rougir de Michel. Cela est impossible dans les choses graves, se répondit-elle, où il se montrera toujours supérieur et droit ; quant aux petites choses, l’acte lui-même de mon mariage, ce défi public donné à l’opinion, devra me guérir à jamais de toute vanité bourgeoise. Enfin j’accepte, en épousant Michel, en même temps qu’une vie d’amour, une vie de travail. Mais ne suis-je pas déjà condamnée au travail le plus morne et le plus assidu ? Et si l’on disait au prisonnier cellulaire : Viens à l’atelier ! ne se lè-