Page:Leo - Un mariage scandaleux.djvu/52

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à peine une lueur crépusculaire, et le fond de la prairie, où Lucie se trouvait, s’emplissait de plus en plus d’ombre et de silence. On entendait dans le village des portes s’ouvrir et se fermer, les gens rentraient de l’ouvrage, et le pas régulier de leurs sabots retentissait en haut dans le chemin. Les petits bergers qui revenaient, montés sur leur jument poulinière, chantaient le Dérélo sur un ton aigu, tandis que les chiens des fermes éloignées répondaient par de longs hurlements aux aboiements des chiens du village.

En écoutant ces rumeurs, une autre amertume s’éveilla chez la jeune fille. Elle pensa qu’aux noces, elle et Clarisse paraîtraient dans l’humiliation de leur défaite pour orner le triomphe d’Aurélie. Certainement alors, telle ou telle commère ne manquerait pas de dire : Et Mlle  Bertin ? Il serait grandement temps qu’elles se mariassent, elles aussi ! À quoi quelque loustic du village répondrait par des quolibets. En vain la pauvre enfant se disait-elle que cela était misérable, les souffrances de l’amour-propre lui rendirent plus amères les tristesses de l’avenir.

Il était bien temps de rentrer ; sans doute on l’attendait chez elle. Au village tous les bruits avaient cessé, et la nuit était sombre, car de grands nuages noirs avaient couvert le pâle croissant. On apercevait seulement de chez la mère Françoise, en haut de la prairie, une lumière qui scintillait au ras du sol comme un feu follet.

Mais elle ne pouvait rentrer ainsi tout éplorée, et ses larmes coulaient toujours. Il y a dans la jeunesse des heures solennelles, époques de l’intelligence, où certaines illusions, derniers langes de l’enfance, derniers voiles du berceau, se déchirent tout à coup. Lucie se trouvait en ce moment sous l’empire d’une crise qu’elle eût dû, à ce