Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/159

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d'autres figures que des jaunes. Je n'ai jamais vu non plus passer un civil, excepté un soi-disant commerçant établi à Ha-Giang, du genre de ceux qui suivent nos expéditions coloniales pour chercher fortune. Il vendait ses marchandises à un prix tellement exagéré que, malgré son besoin de quelque chose d'indispensable, le soldat n'achetait pas. Il va sans dire que les liqueurs falsifiées étaient son principal commerce. Et cet homme, venu on ne savait d'où, prenait un ton tellement arrogant que les choses ont manqué plusieurs fois de tourner mal. Il se targuait de son faux titre de colon (je dis faux car le vrai colon est infiniment respectable et doit être aidé et encouragé) pour faire le matamore avec les soldats. Malheureusement il en est souvent ainsi. Ces colons de contrebande, au lieu de coloniser, ne font pas autre chose que de vendre à des prix exorbitants des alcools qui empoisonnent et des boîtes de conserves dont le contenu est souvent immangeable. Et, parce qu'ils s'enrichissent vite à ce honteux trafic, ils regardent les soldats qui les font vivre d'un air de mépris et leur parlent sur le ton d'un roi nègre à ses esclaves. Je m'empresse d'ajouter que les véritables colons, et j'ai toujours eu grand plaisir à les rencontrer, sont animés de tout autres sentiments envers les soldats. Ils les considèrent avec raison comme des amis qui, en cas de danger, n'hésiteront pas à se faire casser la figure pour défendre leurs familles et leurs biens. Et j'en ai vu, par exemple les frères Duchemain à Phu-Doan, qui nous envoyaient du gibier pour améliorer notre ordinaire et répondaient toujours à notre salut.

Au cours de ces travaux de route, où j'étais journellement en contact avec les indigènes et où j'avais pris l'habitude d'observer tout ce qui se passait autour de moi, j'ai achevé de perdre le peu de considération que j'avais pu conserver pour le peuple annamite. J'avais vécu au milieu d'un autre peuple, les Arabes, qui lui ressemblent pour certains défauts. Mais en ce qui concerne