Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/217

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en empêcher et je vous prie de vouloir bien respecter ma consigne. — Aoh ! s’écria-t-elle, je ferai piounir vô !

Zut ! répliquai-je. — Puis, j’appelai le chef de poste qui, avec quatre hommes baïonnette au canon, fit battre la consule en retraite. Elle nous montra ses grandes dents d’un air de menace, mais je n’en entendis plus parler.

L’indemnité de vivres était fixée pour les soldats à 35 centimes par jour ; nous la touchions, mais il n’était pas possible d’acheter quoi que ce fût ; tout était encore fermé.

Parmi les jeunes soldats qui venaient de France, le découragement s’accentuait. Ils demandaient avec effroi aux anciens combien de temps on allait rester sous ce régime. Pour toute nourriture, nous n’avions que deux cuillerées de riz et 100 grammes de pain noir chacun. Et, comme on travaillait péniblement toute la journée, quand arrivait le soir on tombait de fatigue et d’inanition.

Notre capitaine, M. Vautravers, le même sous les ordres duquel j’avais servi au Tonkin pendant les travaux de route, nous encourageait de son mieux. Nul mieux que lui ne connaissait notre mal, puisqu’il en souffrait lui-même. Mais il y avait dans sa compagnie trop de jeunes soldats qui pour un rien se déclaraient malades. Je me rappelle qu’un jour, sur vingt-neuf hommes inscrits pour la visite, six seulement furent reconnus par le médecin. Naturellement le capitaine était obligé de sévir ; mais il le faisait avec indulgence et bonté, cherchant surtout à remonter les carottiers et à leur faire comprendre leur devoir.

Un jour il réunit la compagnie en mettant les jeunes soldats d’un côté et les anciens de l’autre. Puis, s’adressant d’abord aux jeunes, il leur dit : — Voyons, il faut raisonner. Ce n’est la faute de personne si nous sommes privés de vivres. Demandez à vos anciens qui ont fait d’autres campagnes, ils vous diront que c’est inévitable et qu’ils n’en sont pas morts. Et puis, il en est