Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/230

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avec tristesse que, malgré les écriteaux que nous avions placés aux quatre coins de la ville pour indiquer que celle-ci était sous la protection des troupes françaises, les étrangers ont tout pillé et même tué quelques habitants qui avaient refusé de se laisser dévaliser. Il faut certainement attribuer au manque de vivres ces excès coupables. Mais les habitants conserveront sûrement une triste opinion de la civilisation et du progrès européens qu’on leur avait tant vantés. Il faut rejeter aussi la faute sur la mauvaise organisation du service de ravitaillement, qui était pitoyable au même degré pour les troupes de toutes les nations. Quant à l’humanité, ce sont toujours nos troupes qui en ont eu le plus de souci. Ce sont toujours elles qui ont empêché de piller et de tuer les indigènes en les plaçant sous leur protection.

Aussitôt arrivés à notre poste, notre premier soin fut d’entourer nos cases de tranchées. La nuit, tout le monde veillait. Nous allâmes aussi reconnaître tous les villages qui nous environnaient. La population nous accueillit avec une méfiance visible que ne parvenaient pas à dissimuler les sourires faux et sournois qu’on nous montrait. D’ailleurs sur notre passage on fermait toutes les portes. Quelques maisons étaient barricadées. Détail à noter, nous ne rencontrions jamais une jeune femme. Le sexe féminin était représenté par un lot de vieilles mégères ridées et édentées ou par des enfants en bas âge, même dans les localités où les habitants ne nous fuyaient pas.

Le 18 octobre fut une fête pour nous. Je l’ai noté comme journée mémorable parce que, pour la première fois en Chine, on nous donna du pain mangeable et la ration de vin entière ! Quelle aubaine, après tant de mois de privations ! Seuls, ceux qui avaient souffert comme moi purent se faire une idée de la joie que je ressentais. D’ailleurs, connaissant la bonté et le souci de notre capitaine pour ses hommes, j’étais presque convaincu qu’il nous avait envoyé la