Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/236

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trois voitures, ils avaient empilé de tout : bibelots, armes, soieries, porcelaines, costumes de mandarins et autres objets de valeur. Après cela ils pouvaient, mieux que personne, raconter au public en termes indignés les scènes de pillage qu’on commettait en Chine. Tout de même, si j’avais été à la place du général en chef, je les aurais envoyés « suivre les opérations » ailleurs.

Le lendemain, la marche fut reprise et j’arrivai le soir à Laï-Shu-Sien, ville entourée d’un mur comme Tcho-Tchéou. Là également, des têtes chinoises suspendues à l’entrée faisaient la grimace aux arrivants. Dans cette ville, un médecin chinois fut chargé de soigner les soldats français malades et ces derniers n’eurent qu’à s’en louer. Le lendemain, j’étais à I-Tchéou. Encore une ville murée et des têtes suspendues au mur, renfermées dans de petits paniers tressés à jour. I-Tchéou était la résidence du plus grand mandarin de la province. Il commandait depuis Tcho-Tchéou jusqu’aux Tombeaux impériaux, inclusivement. Je vis flotter dans cette ville des drapeaux de plusieurs nations, mais j’y cherchai en vain le drapeau français. De là, je doublai l’étape et j’atteignis, à dix heures du soir, Si-Ling.

Si-Ling est l’entrée de l’enceinte des Tombeaux impériaux ; on y pénètre par une voûte qui traverse une épaisse muraille construite entre deux montagnes. En quittant Si-Ling, je me trouvai au milieu d’une forêt de sapins où je m’accrochais à chaque instant, car il y faisait noir comme dans un four. Plusieurs fois, je me suis perdu dans les mille sentiers qui la sillonnaient. Enfin, vers onze heures du soir, j’arrivai à Mou-Ling où se trouvait ma compagnie. Je fus reçu par des cris répétés de : Halte-là ! poussés par plusieurs sentinelles qui ne me reconnaissaient pas, car je portais un costume qui n’était guère celui d’un soldat français. Avec mes effets en lambeaux, j’avais plutôt l’air d’un brigand armé. À peine avais-je déposé