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chien et chat ; ce sont deux beaux-frères, des Alsaciens. Leur haine mutuelle doit dater de longtemps ; c'est une affaire de famille. Ils en viennent souvent aux mains, mais dès que le caporal intervient, ils rentrent dans l'ordre.

Ensuite je prêtai l'oreille aux colloques que les groupes d'hommes engageaient, chacun dans sa langue maternelle, et j'en saisis aisément quelques phrases. — Vois-tu, me dit Crista, qui me suivait des yeux et qui parlait plusieurs langues, les conversations de ces hommes ont principalement trait à leurs chefs. Pas un n'en dit du mal, tous leur sont reconnaissants du souci constant qu'ils apportent à les nourrir, des égards qu'ils ont pour eux en toute circonstance.

J'écoute surtout le groupe des Allemands, dont un, me dit Crista, vient de terminer une punition de prison. La conversation roule sur cette punition. Son camarade lui dit qu'il l’a bien méritée, ajoutant qu'en Allemagne, il aurait été traduit devant un conseil de discipline.

Après le déjeuner j'invite Crista à venir à la cantine pour prendre quelque chose. — Un quart de marc, commande-t-il, sans me consulter. — Je ne puis vous donner à chacun que six centilitres, c'est l'ordre du colonel, répondit la cantinière. Lisez l'affiche sur les murs !

En effet, l'affiche le disait. Elle disait également, et en vertu du même ordre, qu'un verre d'absinthe serait vendu 0 fr. 40 et un verre de Pernod 0 fr. 15 seulement. Mon étonnement est sans bornes lorsque je vois auprès du comptoir un commandant choquer son verre contre celui d'un légionnaire et lui parler sur un ton amical. — C'est le commandant Henri, me dit Crista. — Et, remarquant ma surprise, il ajoute : — Le fait n'est pas rare à la Légion, où les chefs vivent côte à côte avec leurs hommes pendant de longues années, exposés aux mêmes dangers, aux mêmes misères, vivant de leur vie et les voyant héroïquement se dévouer