Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n'ayant pas d'artillerie, le Redoutable répondait pour nous. Quand nous passâmes devant lui, sa musique joua la Marseillaise et les matelots chantèrent l'hymne de l'infanterie de marine. L'amiral Potlier nous cria : « Bon voyage, mes enfants. »

Le lendemain, nous faisions escale à Tchefou, où une vingtaine de navires de guerre étaient en rade. De Tchefou jusqu'à Nagasaki, la mer fut des plus dures. Le bateau dansait comme une coquille de noix. Le brouillard était tellement épais qu'on ne voyait absolument rien autour de soi. La sirène sifflait sans cesse et le temps était aussi froid qu'au mois de décembre en Chine. Le 6, nous passâmes devant une île qui appartient aux Japonais depuis la guerre de 1895 ; le 7, nous arrivâmes à Nagasaki par un temps superbe.

L'entrée du port offrait un coup d'œil féerique. Sur les deux rives, s'étageaient des mamelons couronnés de verts bosquets, d'où émergeaient d'élégants chalets et de magnifiques habitations de plaisance. Ce décor aux styles et aux couleurs multiples formait avec le ciel lumineux de l'Orient et la mer bleue qui battait le rivage un tableau vraiment enchanteur. Celui qui a dit : « Voir Naples et mourir », n'avait certainement pas vu Nagasaki, car il est impossible d'imaginer un panorama aussi merveilleux que celui que nous avions devant nous. Le port témoignait d' une grande activité commerciale. J'y ai remarqué un vaste chantier où plusieurs navires étaient en construction. En ville, on sentait que la civilisation et le progrès européens avançaient à pas de géant. Les usages de l'Occident semblaient s'acclimater rapidement partout. Comme dans bien des régions du globe, c'est l'Anglais qui paraît exercer une action prépondérante sur le mouvement maritime et commercial. Avant le débarquement, un médecin militaire japonais, galonné jusqu'au cou, nous fit passer une visite médicale. Pendant qu'il me tâtait le pouls, je ne pouvais m'empêcher de pouffer de rire ; son visage glabre, ses yeux de travers