Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/73

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne garde leur souvenir, ni celui de beaucoup d'autres qui sont morts, soit sous les balles ennemies, soit par suite de maladies contractées aux colonies, soit par suite de fatigues et de misères, mais tous pour la même cause. Il est à remarquer qu'aucune rue des grandes villes de France ne porte le nom d'un de ces héros. Parlez-moi des peintres à longs cheveux, des écrivains, des journalistes, des gros commerçants ou industriels, voire des acteurs en renom qui tous se sont fait de belles rentes en exploitant leur spécialité ; leurs noms passeront à la postérité comme s'ils avaient mérité d'être immortels. Je vois déjà le haussement d'épaules de certains que ces phrases pourront choquer. Mais je ne dois pas être seul à penser ainsi. Tous ceux qui ont pu voir nos officiers et leurs soldats se dévouer et mourir quand il le faut, si simplement, sans espoir que leurs noms soient connus dans le pays même pour lequel ils tombent, ceux-là pensent certainement comme moi. Quant aux vivants, ils se contentent d'un sentiment de fierté, celui que procure le devoir accompli, et c'est une satisfaction que personne ne peut leur ravir. Voilà leur vraie récompense. Cela n'empêchera pas quelques hâbleurs de carrière de continuer à qualifier nos chefs de « traîneurs de sabres », et leurs soldats de « mercenaires » ou de « soudards ». A ceux-là, si jamais ce livre tombe entre leurs mains, je ne conseille pas de le lire jusqu'au bout. Et je leur dis : fermez-le à cette page même pour ne plus le rouvrir ; car je n'ai pas fini de citer des noms, des morts, des actions d'éclat et des dévouements héroïques. Jetez-le ou déchirez-le. Et vous aussi, soldats, en petit nombre je l'espère, qui vivez dans ce courant d'idées, vous pour qui tout se résume en ce mot « la classe », vous qui qualifiez le service militaire du nom d'esclavage, vous enfin qui dénigrez votre camarade parce qu'il obéit à ses chefs, arrêtez également votre lecture à cette page, car quand vous m'aurez lu jusqu'à la fin, avec vos idées d'émancipation à outrance, vous ne