Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/94

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d'un flegme étonnant. Ni ses traits, ni ses yeux, ne trahissaient ses pensées. J’étais juste en face de lui, le fixant bien, et je me suis rappelé à ce moment tous les crimes, toutes les cruautés, tous les assassinats commis par son ordre. Et cet homme qui, pendant son règne, avait été un abominable tyran, à l’heure où on le séparait des compagnes qu’il ne devait plus revoir, ne versait même pas une larme. Je ne pus m’empêcher de dire à un de mes camarades : « Il mériterait qu’on le couse dans un sac et qu’on le jette à la mer. » Cependant le wagonnet se mit en marche, entouré d’une compagnie de la Légion, baïonnette au canon. On embarqua l’ex-roi sur le croiseur le Segond, et quand peu après le navire se mit en marche, Behanzin ne jeta même pas un dernier regard vers la terre.

Voici ce que me raconta, le même jour, un employé mulâtre d’une factorerie de Cotonou, qui assistait parfois aux scènes barbares organisées par l’ex-roi. Un jour, à l’occasion d’un anniversaire de mort d’un de ses aïeux, il fit venir quelques prisonniers à Cana sur une place au milieu de laquelle un fauteuil en forme de trône était placé. Des amazones, chacune armée d’une espèce de sabre long et large, se tenaient auprès de chaque prisonnier. Aussitôt arrivé, Behanzin s’assit dans son fauteuil, leva le bras et le baissa. À ce signal, chaque amazone fit agenouiller son prisonnier, leva le sabre et, d’un coup sec, lui trancha la tête. Ces anniversaires, où les mêmes scènes barbares avaient lieu, n’étaient pas rares. Parfois Behanzin y invitait quelques Européens et ces invitations ressemblaient plutôt à un ordre. Tel fut le triste personnage sur le sort duquel la France s’est apitoyée.

Au mois de février 1894, le rapatriement des troupes commença. Il restait à peine un quart de l’effectif dans chaque unité européenne ; les trois autres quarts étaient, soit morts, soit déjà rapatriés pour cause de maladie. Nos figures portaient les traces d’un excès de fatigue et de travail. A la même date, le général, qui