Page:Leon Silbermann - Souvenirs de campagne, 1910.djvu/96

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pour rester calme devant le public. Je n’étais maître, en ce moment-là, ni de mon cœur ni de mes nerfs. Je voyais devant moi des hommes avec lesquels j’avais risqué ma vie. Ensemble nous avions souffert, et je les retrouvais là, sur des brancards, s’acheminant sûrement vers la tombe.

Les larmes coulaient encore de mes yeux lorsque je rejoignis ma compagnie déjà rassemblée sous le hangar, prête à se mettre en marche musique en tête et devancée par plusieurs généraux et une foule d’officiers. Mon capitaine me demanda ce que j’avais. Pourquoi ces pleurs ? Un civil, journaliste de l’Écho d’Oran, tenant un gros bouquet de fleurs à la main, répondit à ma place, en disant que c’était probablement la joie de revoir l’Algérie. Et je ris machinalement, essuyant mes larmes.

Jusqu’à la caserne des zouaves notre marche fut une vraie fête nationale. La plupart des maisons étaient pavoisées et enguirlandées. On nous jetait des fleurs, on battait des mains, on criait : « Bravo, vive la Légion ! » Des hommes, des enfants, des femmes en toilettes claires marchaient à nos côtés. On nous prenait nos havresacs pour les porter jusqu’à la caserne. La grosse caisse des zouaves tapait de toute sa force comme pour surmonter les cris du public ; mais plus elle tapait, plus le public criait. Au milieu de ces ovations nous arrivâmes à la caserne, où les Dames de France nous avaient préparé un repas copieux arrosé de bon vin, et des cigares que malheureusement peu de camarades ont goûtés. Par suite du changement de climat et de nourriture, la plupart d’entre nous avaient des embarras gastriques ; d’autres grelottaient de fièvre ; pas un n’était dans son état de santé normal. Pendant une semaine environ que nous sommes restés à Oran, tous les jours on emportait quelques légionnaires à l’hôpital. Plusieurs y moururent. Et, comme si la mort n’était pas encore satisfaite de son œuvre de faucheuse, elle poursuivit nos camarades partout, à Saïda,