Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/466

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comprendre d’eux. Il les traitait mieux que les membres de sa famille, ne leur refusant rien. Cependant il tomba dans la gêne. Obligé de rationner ses singes, il s’avisa du moyen suivant, pour leur faire agréer la mesure. Désormais, leur dit-il, vous aurez chacun trois taros le matin et quatre le soir ; cela vous va-t-il ? Tous les singes se dressèrent, fort courroucés… Alors, leur dit-il, vous aurez chacun quatre taros le matin, et trois le soir ; cela vous va-t-il ?… Satisfaits qu’on eût tenu compte de leur déplaisir, tous les singes se recouchèrent, très contents… C’est ainsi qu’on gagne les animaux. Le Sage gagne de même les sots humains. Peu importe que le moyen employé soit réel ou apparent ; pourvu qu’on arrive à satisfaire, à ne pas irriter[1]. — — Autre exemple de l’analogie étroite entre les animaux et les hommes. Ki-sing-tzeu dressait un coq de combat, pour l’empereur Suan des Tcheou. Au bout de dix jours, comme on lui en demandait des nouvelles, il dit : il n’est pas encore en état de se battre ; il est encore vaniteux et entêté. — Dix jours plus tard, interrogé de nouveau, il répondit : — Pas encore ; il répond encore au chant des autres coqs. — Dix jours plus tard, il dit : Pas encore ; il est encore nerveux et passionné. — Dix jours plus tard, il dit : Maintenant il est prêt ; il ne fait plus attention au chant de ses semblables ; il ne s’émeut, à leur vue, pas plus que s’il était de bois. Toutes ses énergies sont ramassées. Aucun autre coq ne tiendra devant lui.


R. Hoei-yang, parent de Hoei-cheu, et sophiste comme lui, étant allé visiter le roi K’ang de Song, celui-ci trépigna et toussa d’impatience à sa vue, et lui dit avec volubilité : Ce que j’aime, moi, c’est la force, la bravoure ; la bonté et l’équité sont des sujets, qui ne me disent rien ; vous voilà averti ; dites maintenant ce que vous avez à me dire. — Justement, dit Hoei-yang, un de mes thèmes favoris, c’est d’expliquer pourquoi les coups des braves et des forts restent parfois sans effet ; vous plairait-il d’entendre ce discours-là ? — Très volontiers, dit le roi. — Ils restent sans effet, reprit le sophiste, quand ils ne les portent pas. Et pourquoi ne les portent-ils pas ? Soit parce qu’ils n’osent pas, soit parce qu’ils ne veulent pas. C’est là encore un de mes thèmes favoris… Mettons que ce soit parce qu’ils ne veulent pas. Pourquoi ne le veulent-ils pas ? Parce qu’il n’y aura aucun avantage. C’est encore là un de mes sujets favoris… Supposons maintenant qu’il y ait un moyen d’obtenir tous les avantages, de gagner le cœur de tous les hommes et de toutes les femmes de l’empire, de se mettre à l’abri de tous les ennuis, ce moyen, n’aimeriez-vous pas le connaître ? — Ah que si ! fit le roi. — Eh bien, dit le sophiste, c’est la doctrine de Confucius et de Mei-ti, dont tout à l’heure vous ne vouliez pas entendre parler. Confucius et Mei-ti, ces deux princes sans terre, ces nobles sans titres, sont la joie et l’orgueil des hommes et des femmes de tout l’empire. Si vous, prince, qui avez terres et titres, embrassez la doctrine de ces deux hommes, tout le monde se donnera à vous, et vous deviendrez plus célèbre qu’eux, ayant eu le pouvoir en plus[2]. — Le roi de

  1. Comparez Tchoang-tzeu chapitre 2 C, mise en œuvre quelque peu différente du même thème.
  2. Hoei-yang n’était pas disciple de Confucius. Mais le triomphe des sophistes consistait à mettre leur adversaire à quia sur sa propre thèse. Le roi de Song ayant commencé par déclarer qu’il détestait le Confucéisme, Hoei-yang lui prouve, sans y croire, que c’est la meilleure des doctrines.