Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/490

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(taoïste), qui n’eut pas son égal, comme force, dans l’empire, mais qui fut ignoré même de sa famille, parce qu’il ne se produisit jamais. J’assistai mon maître à sa mort. Il me laissa cette instruction : Ceux qui cherchent la renommée, ne l’obtiennent que par des actions extraordinaires. A ne faire que des choses ordinaires, on ne devient même pas célèbre dans sa famille. C’est pourtant le parti que j’ai jugé le meilleur, et je te conseille de m’imiter. ... Or si maintenant un grand seigneur a pu vanter ma force devant votre Majesté, c’est que, manquant aux recommandations suprêmes de mon maître mourant, j’en aurai laissé entrevoir quelque chose. Le fait que je me suis trahi, montre que je suis sans force. Car plus fort est celui qui sait cacher sa force, que celui qui sait l’exercer.

L. Le prince Meou de Tchoung-chan était la forte tête de Wei. Il aimait à s’entretenir avec les habiles gens, s’occupait peu d’administration, et avait une affection déclarée pour Koungsounn-loung le sophiste de Tchao. Ce faible fit rire le maître de musique Tzeu-u. Meou lui demanda : Pourquoi riez-vous de mon affection pour Koungsounn-loung ? ... Tzeu-u dit : Cet homme-là ne reconnaît pas de maître, n’est l’ami de personne, rejette tous les principes reçus, combat toutes les écoles existantes, n’aime que les idées singulières, et ne tient que des discours étranges. Tout ce qu’il se propose, c’est d’embrouiller les gens et de les mettre à quia. A peu près comme jadis Han-Van (sophiste inconnu) et consorts. — Mécontent, le prince Heou dit : N’exagérez-vous pas ? tenez-vous dans les bornes de la vérité. — Tzeu-u reprit : Jugez vous-même. Voici ce que Koungsounn-loung dit à K’oungtch’oan : Un bon archer, lui dit-il, doit pouvoir tirer coup sur coup, si vite et si juste, que la pointe de chaque flèche suivante s’enfonçant dans la queue de la précédente, les flèches enfilées forment une ligne allant depuis la corde de l’arc jusqu’au but. ... Comme K’oung-tch’oan s’étonnait ; oh ! dit Koungsounn-loung, Houng-tch’ao, l’élève de P’eng-mong, a fait mieux que cela. Voulant faire peur à sa femme qui l’avait fâché, il banda son meilleur arc et décocha sa meilleure flèche si juste, qu’elle rasa ses pupilles sans la faire cligner des yeux, et tomba à terre sans soulever la poussière. Sont-ce là des propos d’un homme raisonnable ? — Le prince Meou dit : Parfois les propos des Sages, ne sont pas compris des sots. Tout ceux que vous venez de citer, peuvent s’expliquer raisonnablement. — Vous avez été l’élève de Koungsounn-loung, dit Tzeu-u, voilà pourquoi vous croyez devoir le blanchir. Moi qui n’ai pas vos raisons, je continuerai à le noircir. Voici quelques échantillons des paradoxes qu’il développa en présence du roi de Wei : On peut penser sans intention ; on peut toucher sans atteindre ; ce qui est, ne peut pas finir ; une ombre ne peut pas se mouvoir ; un cheveu peut supporter trente mille livres ; un cheval n’est pas un cheval ; un veau orphelin peut avoir une mère ; et autres balivernes. — Le prince Meou dit : C’est peut-être vous qui ne comprenez pas ces paroles profondes[1]. Penser sans intention, peut s’entendre de la concentration de l’esprit uni au Principe ; toucher sans atteindre, s’entend du contact universel préexistant ; que ce qui est ne peut finir, qu’une ombre ne peut se mouvoir, sont des titres pour introduire la discussion des notions de changement et de mouvement ; qu’un cheveu supporte trente mille livres, sert à introduire la question de ce que sont le continu et la pesanteur ;

  1. Comparez Tchoang-tzeu chapitre 33 G.