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quand son esprit fut comme éteint et son corps comme mort, les voyait de son regard transcendant aussi nettement que le mont Song-chan, les entendait par son ouïe intime aussi clairement qu’un coup de tonnerre. — Dans les pays de Ou et de Tch’ou (sud), croit un grand arbre, le You-pi, qui produit en hiver des fruits rouges d’une saveur acide ; transplanté au nord du Hoai, il se change en une broussaille épineuse et stérile (citrus spinosa). La grive ne passe pas la rivière Tsi, le blaireau ne peut plus vivre au sud de la Wenn. La nature des lieux paraissant être la même, la vie des uns s’y accommode, tandis que celle des autres ne s’y accommode pas, sans qu’on puisse découvrir pourquoi. Si nous ne pouvons pas nous rendre compte de ces choses concrètes, que voulez-vous que je vous dise des choses abstraites, comme le grand et le petit, le long et le court, les ressemblances et les différences ? (Retour à la question posée B.)

D. Le massif des monts T’ai-hing et Wang-ou avait sept cent stades carrés d’étendue, et quatre-vingt mille pieds de haut[1]. Un nonagénaire de Pei-chan lui en voulait, de ce qu’il interceptait les communications entre le Sud et le Nord. Ayant convoqué les gens de sa maison, il leur dit : Mettons-nous-y ! Aplanissons cette hauteur ! Mettons le Nord en communication avec la vallée de la Han ! .. A l’œuvre, fit le chœur. ... Mais la vieille femme du nonagénaire objecta : où mettrez-vous les terres et les pierres de ces montagnes ? .. Nous les jetterons à la mer, fit le chœur. ... L’ouvrage commença donc. Sous la direction du vieillard, son fils et ses petits-fils capables de porter quelque chose, attaquèrent les rochers, creusèrent la terre, portèrent les débris panier par panier jusqu’à la mer. Leur enthousiasme se communiqua à tout leur voisinage. Il n’y eut pas jusqu’au fils de la veuve d’un fonctionnaire, un bambin en train de faire ses secondes dents, qui ne courût avec les travailleurs, quand il ne faisait ni trop chaud ni trop froid. — Cependant un homme de Ho-K’iu qui se croyait sage, essaya d’arrêter le nonagénaire en lui disant : Ce que tu fais là, n’est pas raisonnable. Avec ce qui te reste de forces, tu ne viendras pas à bout de ces montagnes. ... Le nonagénaire dit : C’est toi qui n’es pas raisonnable ; moins que le bambin de la veuve. Moi je mourrai bientôt, c’est vrai ; mais mon fils continuera, puis viendront mes petits-fils, puis les enfants de mes petits-fils, et ainsi de suite. Eux se multiplieront sans fin, tandis que rien ne s’ajoutera jamais plus à la masse finie de cette montagne. Donc ils finiront par l’aplanir. — La constance du nonagénaire épouvanta le génie des serpents, qui supplia le Souverain d’empêcher que ses protégés ne fussent expropriés par ce vieillard obstiné. Celui-ci ordonna aux deux géants fils de K’oa-no, de séparer les deux montagnes T’ai-hing et Wang-ou. Ainsi fut produite la trouée, qui fait communiquer les plaines du Nord avec le bassin de la Han. (:Morale, compter sur l’effet du temps).

E. Jadis le père des deux géants susdits, ayant voulu lutter de vitesse avec le soleil, courut jusqu’à U-kou. Altéré, il but le Fleuve, puis avala la Wei. Cela ne suffisant pas, il courut vers le grand lac, mais ne put l’atteindre, étant mort de soif en chemin. Son cadavre et son bâton devinrent le Teng-linn, étendu de plusieurs milliers de stades.

  1. C’est-à-dire, à la chinoise, qu’on faisait ce chemin, pour arriver au sommet.