Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/516

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allez-vous, de ce pas, et avec cette mine ? — Pei-koung-tzeu lui ayant conté sa déconfiture : Retournons ensemble, dit le Maître ; je laverai votre affront. — Quand ils furent arrivés chez Si-menn-tzeu, le Maître lui demanda : quelle avanie avez-vous faite à Pei-koung-tzeu ? — Je lui ai dit, dit Si-menn-tzeu, que j’estimais que la différence de nos conditions, devait provenir de la différence de nos conduites. — Il n’en est rien, dit le Maître. Voici comme il faut expliquer la chose. Bien doué, Pei-koung-tzeu a un mauvais destin. Mal doué, toi Si-menn-tzeu, tu as un bon destin. Ta réussite n’est pas due à tes qualités ; ses insuccès ne sont pas dus à son incapacité. Ce n’est pas vous qui vous êtes faits ce que vous êtes ; c’est la fatalité qui vous a faits ce que vous êtes. Si donc toi, le fortuné, tu l’as humilié ; si lui, le bien doué, en a eu honte ; c’est que, tous deux, vous ignoriez ce qui en est de vous. — N’en dites pas davantage, Maître, dit Si-menn-tzeu ; je ne le ferai plus. — Quand Pei-koung-tzeu fut revenu chez lui, il trouva sa robe de grosse toile plus chaude que fourrure de renard ou de blaireau ; ses grossiers aliments lui semblèrent délicieux ; sa masure lui parut un palais, et sa claie un char. Illuminé intérieurement, jusqu’à sa mort il ne fit plus aucune attention aux distinctions sociales. — Le Maître du faubourg de l’est l’ayant appris, dit : Après un bien long sommeil (ignorance), un mot a suffi pour éveiller cet homme, et le changer d’une manière durable.

C. Koan-i-ou et Pao-chou-ya, tous deux de Ts’i[1], étaient amis intimes. Koan-i-ou s’attacha au prince Kiou, Pao-chou-ya adhéra au prince Siao-pai. Par suite de la préférence accordée par le duc Hi de Ts’i à Ou-tcheu le fils d’une concubine favorite, une révolution éclata, quand il fallut pourvoir à la succession du duc défunt. Koan-i-ou et Tchao-hou se réfugièrent à Lou avec le prince Kiou, tandis que Pao-chou-ya fuyait à Kiu avec le prince Siao-pai. Ensuite ces deux princes, devenus compétiteurs au trône, s’étant déclaré la guerre, Koan-i-ou combattit du côté de Kiou quand celui-ci marcha sur Kiu, et décocha à Siao-pai une flèche qui l’aurait tué, si elle n’avait été épointée par la boucle de sa ceinture. Siao-pai ayant vaincu, exigea que ceux de Lou missent à mort son rival Kiou, ce qu’ils firent complaisamment. Tchao-hou périt, Koan-i-ou fut emprisonné. — Alors Pao-chou-ya dit à son protégé Siao-pai devenu le duc Hoan : Koan-i-ou est un politicien extrêmement habile. — Je le veux bien, dit le duc ; mais je hais cet homme, qui a failli me tuer. — Pao-chou-ya reprit : Un prince sage doit savoir étouffer ses ressentiments personnels. Les inférieurs doivent faire cela continuellement à l’égard de leurs supérieurs ; un supérieur doit le faire parfois pour quelqu’un de. ses inférieurs. Si vous avez l’intention de devenir hégémon, Koan-i-ou est le seul homme capable de faire réussir votre dessein. Il vous faut l’amnistier. — Le duc réclama donc Koan-tchoung, soi-disant pour le mettre à mort. Ceux de Lou le lui envoyèrent lié. Pao-chou-ya sortit au-devant de lui dans le faubourg, et lui enleva ses liens. Le duc Hoan le revêtit de la dignité de premier ministre. Pao-chou-ya devint son

  1. TH page 138.