Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/608

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ce mutilé, exigea qu’il lui cédât le pas… Il n’y a pas de rangs, dans l’école de notre maître, dit Chennt’ou-kia. Si vous tenez à l’étiquette, allez ailleurs. À un miroir parfaitement net, la poussière n’adhère pas ; si elle adhère, c’est que le miroir est humide ou gras. Votre exigence en matière rituelle, prouve que vous n’êtes pas encore sans défauts. — Vous, un mutilé, dit Tzeu-tch’an, vous me faites l’effet de vouloir poser en Yao. Si vous vous examiniez, vous trouveriez peut-être des raisons de vous taire. — Vous faites allusion, dit Chennt’ou-kia, à la peine que j’ai subie, et pensez que je l’ai méritée pour quelque faute grave. La plupart de ceux qui sont dans mon cas, disent très haut que cela n’aurait pas dû leur arriver. Plus sage qu’eux, je ne dis rien, et me résigne en paix à mon destin. Quiconque passait dans le champ visuel du fameux archer I, devait être percé d’une flèche ; s’il ne l’était pas, c’est que le destin ne le voulait pas. Le destin voulut que moi je perdisse mes pieds, et que d’autres gardassent les leurs. Les hommes qui ont leurs pieds se moquent de moi qui ai perdu les miens. Jadis cela m’affectait. Maintenant je suis corrigé de cette faiblesse. Voilà dix-neuf années que j’étudie sous notre maître, lequel très attentif sur mon intérieur, n’a jamais fait aucune allusion à mon extérieur. Vous, son disciple, faites tout le contraire. N’auriez-vous pas tort ? — Tzeu tch’an[1] sentit la réprimande, changea de visage et dit : Qu’il n’en soit plus question.


C.   Dans la principauté de Lou, un certain Chou-chan qui avait subi l’amputation des orteils, alla demander à Confucius de l’instruire. — À quoi bon ? lui dit celui-ci, puisque vous n’avez pas su conserver votre intégrité corporelle. — Je voulais, pour compenser cette perte, apprendre de vous à préserver mon intégrité mentale, dit Chou-chan. Le ciel et la terre se prodiguent à tous les êtres, quels qu’ils soient, sans distinction. Je croyais que vous leur ressembliez. Je ne m’attendais pas à être rebuté par vous. — Pardonnez mon incivilité, veuillez entrer, dit Confucius ; je vous dirai ce que je sais. — Après l’entrevue, Chou-chan s’en étant retourné, Confucius dit à ses disciples : que cet exemple vous anime au bien, enfants ! Voyez, ce mutilé cherche à réparer ses fautes passées. Vous, ne commettez pas de fautes. — Cependant Chou-chan, mal content de Confucius, s’était adressé à Lao-tan. Ce K’oung-ni, lui dit-il, n’est pas un sur-homme. Il s’attire des disciples, pose en maître, et cherche visiblement la réputation. Or le sur-homme considère les préoccupations comme des menottes et des entraves. — Pourquoi, dit Lao-tan, n’avez-vous pas profité de votre entrevue avec lui, pour lui dire sans ambages, que la vie et la mort sont une seule et même chose ; qu’il n’y a aucune distinction entre oui et non ? Vous l’auriez peut être délivré de ses menottes et de ses entraves. — Impossible, dit Chou-chan. Cet homme est trop plein de lui même. Le Ciel l’a puni en l’aveuglant. Personne ne le fera plus voir clair.

  1. Le Tseu-tch’an mis ici en mauvaise posture, est un parangon confucéiste. Prince de Tcheng, du sixième siècle, célèbre à divers titres ; surtout comme administrateur. Confucius pleura amèrement sa mort.