Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/618

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dans une succession illimitée de formes diverses, suite infinie de contentements. Alors pourquoi haïrais-je la mort, le commencement de mon prochain contentement ? Le Sage s’attache au tout dont il fait partie, qui le contient, dans lequel il évolue. S’abandonnant au fil de cette évolution, il sourit à la mort prématurée, il sourit à l’âge suranné, il sourit au commencement, il sourit à la fin ; il sourit et veut qu’on sourie à toutes les vicissitudes. Car il sait que tous les êtres font partie du tout qui évolue.


D.   Or ce tout est le Principe, volonté, réalité, non-agissant, non-apparent. Il peut être transmis mais non saisi, appréhendé mais pas vu. Il a en lui même son essence et sa racine. Avant que le ciel et la terre ne fussent, toujours il existait immuable. Il est la source de la transcendance des Mânes et du Souverain des Annales et des Odes. Il engendra le ciel et la terre des Annales et des Odes. Il fut avant la matière informe, avant l’espace, avant le monde, avant le temps ; sans qu’on puisse l’appeler pour cela haut, profond, durable, ancien.[1] Hi-wei le connut, et dériva de cette connaissance les lois astronomiques. Fou-hi le connut, et tira de cette connaissance les lois physiques. C’est à lui que l’Ourse (le pôle) doit sa fixité imperturbable. C’est à lui que le soleil et la lune doivent leur cours régulier. Par lui K’an-p’ei s’établit sur les monts K’ounn-lunn, Fong-i suivit le cours du Fleuve Jaune, Kien-ou s’établit au mont T’ai-chan, Hoang-ti monta au ciel, Tchoan-hu habita le palais azuré, U-k’iang devint le génie du pôle nord, Si-wang-mou s’établit à Chao-koang[2]. Personne ne sait rien, ni de son commencement, ni de sa fin. Par lui P’eng-tsou vécut, depuis les temps de l’empereur Chounn, jusqu’à celui des cinq hégémons. Par lui Fou-ue gouverna l’empire de son maître l’empereur Ou-ting, et devint après sa mort une étoile (dans la constellation du Sagittaire).


E.   Maître K’oei dit Nan-pai, demanda à Niu-u : Comment se fait-il que, malgré votre grand âge, vous ayez la fraîcheur d’un enfant ? — C’est, dit Niu-u, qu’ayant vécu conformément à la doctrine du Principe, je ne me suis pas usé. — Pourrais-je apprendre cette doctrine ? demanda Maître K’oei. Vous n’avez pas ce qu’il faut, répondit Niu-u. Pouo-leang-i, lui, avait les dispositions requises. Je l’enseignai. Après trois jours, il eut oublié le monde extérieur. Sept jours de plus, et il perdit la notion des objets qui l’entouraient. Neuf jours de plus, et il eut perdu la notion de sa propre existence. Il acquit alors la claire pénétration, et par elle la science de l’existence momentanée dans la chaîne ininterrompue. Ayant acquis cette connaissance, il cessa de distinguer le passé du présent et du futur, la vie de la mort[3]. Il comprit que, en réalité, tuer ne fait pas mourir, engendrer ne fait pas naître, le Principe soutenant l’être à travers ses finir et ses devenir. Aussi l’appelle-t-on justement le fixateur permanent. C’est de lui, du fixe, que dérivent toutes les mutations. — Est ce vous qui avez inventé cette doctrine ? demanda Maître K’oei. — Non, dit Niu-u ; je l’ai apprise du fils de Fou-mei, disciple

  1. L’absolu n’admettant pas d’épithètes relatives. Glose.
  2. Réminiscences ou fiction ? Rien à tirer des gloses. Je renvoie la question aux savants.
  3. Phases, périodes, de l’évolution une.