Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/660

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tous ce qui leur convient. Son action s’étend dans l’espace et dans le temps.


D.   L’empereur Hoang-ti ayant poussé jusqu’au nord de la rivière rouge, et gravi le mont K’ounn-lunn pour examiner les régions du Sud, perdit sa perle noire (son trésor, la notion du Principe, pour s’être livré à ses rêves ambitieux). Il la fit chercher par Science, qui ne la retrouva pas. Investigation et Discussion ne la retrouvèrent pas davantage. Enfin Abstraction la retrouva. Hoang-ti se dit : n’est ce pas étrange que ce soit Abstraction qui l’ait retrouvée ? elle que le vulgaire considère comme la moins pratique des facultés.


E.   Yao fut instruit par Hu-You, disciple de Nie-k’ue, disciple de Wang-i, disciple de Pei-i. Yao qui songeait à abdiquer pour se livrer à la contemplation, demanda à Hu-You : Nie-k’ue a-t-il ce qu’il faut pour collaborer avec le Ciel (pour être empereur à ma place) ? Si oui, je lui ferai imposer la charge par son maître Wang-i[1]. — Ce serait là, dit Hu-You, faire une chose au moins hasardeuse, peut être funeste. Nie-k’ue est trop intelligent et trop habile. Il appliquera au gouvernement son intelligence et son habileté humaines, empêchant ainsi le Ciel, le Principe, de gouverner. Il multipliera les charges, fera cas des savants, prendra des décisions, se préoccupera des traditions, s’embarrassera dans des complications, tiendra compte de l’opinion, appliquera des théories a priori sur l’évolution des choses, etc. Cet homme est trop intelligent pour être empereur. Quoique, de par sa noblesse, il soit qualifié pour cette position, de par son excessive habileté, il n’est bon qu’à faire un petit officier. Il a ce qu’il faut, pour prendre des brigands. S’il devenait ministre, ce serait le malheur ; s’il parvenait au trône, ce serait la ruine du pays.


F.   Comme Yao inspectait le territoire de Hoa, l’officier préposé à ce territoire lui dit : O Sage ! je vous souhaite prospérité et longévité ! — Taisez-vous ! dit Yao.

Mais l’officier continua : je vous souhaite la richesse ! — Taisez-vous ! dit Yao. — Et nombre d’enfants mâles ! conclut l’officier. — Taisez-vous ! dit Yao, pour la troisième fois. — L’officier reprit : Longévité, richesse, postérité mâle, tous les hommes désirent cela ; pourquoi vous seul n’en voulez-vous pas ? — Parce que, dit Yao, qui a beaucoup de fils, a beaucoup d’inquiétudes ; qui a beaucoup de richesses, a beaucoup de soucis ; qui vit longtemps, essuie bien des contradictions. Ces trois inconvénients entravent la culture de la vertu morale, voilà pourquoi je n’ai pas voulu de vos souhaits. — Alors, dit l’officier, je ne vous considère plus comme un Sage, mais comme un homme ordinaire. À tous les individus qu’il procrée, le Ciel donne le sens nécessaire pour se conduire ; donc vos fils se tireraient d’affaire eux-mêmes. Pour vous défaire de richesses encombrantes, vous n’auriez qu’à les distribuer. Vous vous préoccupez plus qu’il ne sied à un Sage. Le vrai Sage vit en ce monde comme la caille vit dans un champ, sans attache à un logis, sans souci de sa nourriture. En temps de paix, il prend sa part de la prospérité commune. En temps de trouble, il s’occupe de lui-même et se désintéresse des affaires. Après mille ans, las de ce monde, il le quitte et monte vers les Immortels. Monté sur un blanc nuage, il arrive dans la région

  1. L’autorité du maître est, en Chine, égale ou supérieure à celle des parents.