Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/662

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du Souverain[1]. Là aucun des trois malheurs ne l’atteint ; son corps dure longtemps sans souffrance ; il ne subit plus de contradictions. — Cela dit, l’officier s’éloigna. Reconnaissant en lui un Sage caché, Yao courut après lui et lui dit : J’aurais des questions à vous poser. — Laissez-moi tranquille, fit l’officier.


G.   Alors que Yao gouvernait l’empire, Maître Kao, dit Pai Tch’eng, fut investi par lui d’un fief. Yao transmit l’empire à Chounn, qui le transmit à U[2]. Alors Maître Kao s’étant démis de son fief se mit à cultiver la terre. U, étant allé le voir, le trouva occupé à labourer dans la plaine. L’ayant abordé respectueusement, il lui dit : Maître, l’empereur Yao vous a investi d’un fief, que vous avez conservé jusqu’ici. Pourquoi voulez-vous vous en défaire maintenant ? — Parce que le monde n’est plus ce qu’il fut sous Yao, dit maître Kao. Le peuple de Yao se conduisait bien, sans qu’on lui payât sa bonne conduite par des récompenses ; il était obéissant, sans qu’il fallût le contraindre par des châtiments. Maintenant vous récompensez et punissez systématiquement, ce qui a fait perdre au peuple ses qualités naturelles. La nature a disparu, des lois l’ont remplacée, de là tous les désordres. Pourquoi me faites-vous perdre mon temps ? Pourquoi entravez-vous mon travail ?.. Et se penchant sur sa charrue, Maître Kao continua le sillon commencé, et ne se retourna plus vers U.


H.   Au grand commencement de toutes choses, il y avait le néant de forme, l’être imperceptible ; il n’y avait aucun être sensible, et par suite aucun nom[3]. Le premier être qui fut, fut l’Un, non sensible, le Principe. On appelle tei norme, la vertu émanée de l’Un, qui donna naissance à tous les êtres. Se multipliant sans fin dans ses produits, cette vertu participée s’appelle en chacun d’eux ming son partage, son lot, son destin. C’est par concentration et expansion alternantes que la norme donne ainsi naissance aux êtres. Dans l’être qui naît, certaines lignes déterminées spécifient sa forme corporelle. Dans cette forme corporelle est renfermé le principe vital. Chaque être a sa manière de faire, qui constitue sa nature propre. C’est ainsi que les êtres descendent du Principe. Ils y remontent, par la culture taoïste mentale et morale, qui ramène la nature individuelle à la conformité avec la vertu agissante universelle, et l’être particulier à l’union avec le Principe primordial, le grand Vide, le grand Tout. Ce retour, cette union, se font, non par action, mais par cessation. Tel un oiseau, qui, fermant son bec, cesse son chant, se tait. Fusion silencieuse avec le ciel et la terre, dans une apathie qui paraît stupide à ceux qui n’y entendent rien, mais qui est en réalité vertu mystique, communion à l’évolution cosmique.


I.   Confucius demanda à Lao-tan : Certains s’appliquent à tout identifier, et prétendent que, licite et illicite, oui et non, sont une même chose. D’autres s’appliquent à tout distinguer, et déclarent que la non-identité de la substance et des accidents est évidente. Sont ce là des Sages ? — Ce sont, répondit Lao-tan, des hommes qui se fatiguent sans profit pour eux-mêmes, comme les satellites des fonctionnaires, les chiens des chasseurs, les singes des

  1. Le Souverain des Annales et des Odes. Comparez Lao-tseu chapitre 4 E.
  2. (154) Bête noire des Taoïstes qui lui imputent l’invention de la politique systématique.
  3. Comparez Lao-tseu chapitre 1.