Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/698

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systématique (par les lois et les écoles), la pratique obligatoire d’un soi-disant bien conventionnel. C’en fut fait des mœurs primitives. Depuis lors les hommes substituèrent leurs théories à l’instinct inné, et la paix disparut de l’empire. Enfin le progrès des lettres et des sciences, acheva d’éteindre ce qui restait de la simplicité naturelle, et remplit les esprits de distractions. Aussi tout n’est plus que désordre et perversion.


B.   De cette revue historique, il résulte que l’adoption de mœurs conventionnelles a été la ruine des mœurs primitives, et que cette ruine de la nature première a été la ruine du monde. Nature et convention sont deux contradictoires inconciliables. Les sectateurs de ces deux voies ne peuvent faire ménage ensemble. Ils ne peuvent même pas se comprendre, ne pensant et ne parlant pas de même. Un Sage du parti de la nature (taoïste) n’aura pas besoin d’aller se cacher dans les monts et les bois ; vivant au milieu de ses concitoyens, il sera inconnu, parce que incompris. Cet état de choses n’est pas récent ; il date d’assez loin. Les Sages anciens qu’on appelle communément les Cachés ne se rendaient pas invisibles, ne tenaient pas leur bouche close, ne dissimulaient pas leur sagesse délibérément. Ils ne se cachaient pas. C’est leur opposition complète à leur temps qui les cacha, qui les fit passer inaperçus, inconnus et incompris. En des temps favorables, ils auraient peut-être réformé le monde, en le ramenant à la simplicité perdue. Mais les temps défavorables les empêchant de ce faire, ils passèrent leur vie à garder pour eux la notion de la perfection primitive, et à attendre dans la paix. — Ces hommes là ne recherchaient pas des connaissances variées par des discussions subtiles, comme font les sophistes actuels ; ils ne voulaient pas tout savoir ni tout pouvoir. Plutôt réservés, presque timides, ils restaient à leur place, méditant sur leur nature. Le sujet est d’ailleurs assez vaste pour occuper un homme, et assez difficile pour commander la réserve. Se donner pour maître de la doctrine du Principe, avec une science et une conduite imparfaites, serait nuire à la doctrine, non la servir. Ils travaillaient donc leur propre personne, faisant tout leur bonheur de leur tendance au but. Ils ne rêvaient pas, comme les ambitieux de nos jours (Confucéistes), de grades et de distinctions. Que peuvent ces choses artificielles, pour la perfection de la nature ? Rien du tout ! Elles sont même une pauvre satisfaction, car bien précaire, qui les a obtenues ne pouvant être sûr qu’il les conservera. Les Sages sont également indifférents dans la fortune et la détresse, ne se réjouissant ni ne s’affligeant de rien. Quand un gain réjouit, quand une perte afflige, c’est signe qu’on aimait l’objet ; affection et affliction, deux désordres. Ceux qui donnent leur affection à des êtres quelconques, qui font violence à leur instinct naturel pour n’importe quelle convention, ceux-là font le contraire de ce qu’ils devraient faire. Ils devraient ne suivre que leur instinct, et vivre absolument détachés.