Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/738

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son école et renonça aux livres. Ses disciples congédiés ne lui firent plus de révérences, mais commencèrent à l’estimer. — — Une autre fois Sang-hou dit : Quand il fut sur le point de mourir, Chounn intima à U ce qui suit : Prends y bien garde ! L’affection qui n’a pour fondement que les formes corporelles n’est pas solide. Pour être solide, il faut que l’affection ait pour fondement de sérieuses raisons. Être aimé ne vaut pas en imposer. L’ascendant conquis par de véritables qualités est seul durable. On est fidèle à un pareil homme, non pour sa beauté, ni pour ses faveurs, mais pour sa valeur intrinsèque.


F.   Habillé d’une robe en grosse toile rapiécée, ses souliers attachés aux pieds avec des ficelles, Tchoang-tzeu rencontra le roitelet de Wei. — Dans quelle détresse je vous vois, maître, dit le roi. — Pardon, roi, dit Tchoang-tzeu, pauvreté, pas détresse. Le lettré qui possède la science du Principe et de son action n’est jamais dans la détresse. Il peut éprouver la pauvreté, s’il est né dans des temps malheureux. ... Tel un singe, dans un bois de beaux arbres aux branches longues et lisses, s’ébat avec une agilité telle, que ni I ni P’eng-mong (archers célèbres) ne pourraient le viser. Mais quand il lui faut grimper à des arbres rabougris et épineux, combien son allure est moins alerte ! C’est pourtant le même animal ; mêmes os, mêmes tendons. Oui, mais les circonstances devenues défavorables, l’empêchent de faire un libre usage de ses moyens. ... Ainsi le Sage né sous un prince stupide qu’entourent des ministres incapables, aura à souffrir. Ce fut le cas de Pi-kan, à qui le tyran Tcheou-sinn fit arracher le cœur.


G.   Quand Confucius fut bloqué entre Tch’enn et Ts’ai, durant sept jours, sans possibilité de cuire aucun aliment, il prit dans sa main gauche un bois sec, et le battit de la main droite avec une branche morte, en chantonnant l’ode de maître Piao. Musique sans tons ni mesure, murmure naturel du cœur blessé, rappelant celui de la terre que le soc de la charrue déchire. — Yen-Hoei, le disciple favori, se tenait là, dans la pose d’un désespéré, les bras croisés, regardant son maître. Craignant qu’il ne s’exaltât outre mesure, Confucius lui dit : Hoei, se résigner aux épreuves naturelles est facile. Rester indifférent aux faveurs des hommes est difficile. Il n’y a pas de commencement qui ne soit suivi d’une fin. L’homme est un avec le ciel. Moi qui chante maintenant, qui suis-je[1]  ? — Yen-Hoei ne comprenant pas, demanda des explications : Se résigner aux épreuves naturelles est facile ; qu’est-ce à dire, maître ?.. Confucius dit : La faim, la soif, le froid, le chaud, la pauvreté, les obstacles et les contradictions, tout cela est inclus dans l’évolution cosmique, dans la loi des transformations ; tout homme rencontre donc ces choses sur sa route, et doit s’y résigner. Un inférieur ne doit pas se révolter contre les dispositions de son supérieur. Combien plus le devoir de la soumission incombe-t-il à tout homme par rapport au ciel ! — Yen-Hoei reprit : Rester indifférent aux faveurs des hommes est difficile ; qu’est-ce à dire ?.. Confucius dit : Vers un homme en charge, honneurs et argent, tout conflue. Biens extérieurs, qui n’ajoutent rien à sa valeur morale, qui ne changent rien à sa destinée. Celui qui se laisse séduire par eux, déchoit du rang de Sage, tombe au niveau des voleurs (que l’argent tente). Or, vivre au milieu des richesses

  1. Je n’ai pas, en réalité, de personnalité stable. J’ai été jadis, je ne sais pas qui ni quoi. Je vais devenir, je ne suis pas qui ni quoi. Succession de sorties et de rentrées du et dans le grand tout.