Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/770

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de votre purification avance-t-elle ? lui demanda celui-ci. Il me paraît qu’elle n’est pas encore parfaite. Les troubles d’origine externe (entrés par les sens) ne peuvent être rembarrés que par l’opposition d’une barrière interne (le recueillement). Les troubles d’origine interne (issus de la raison) ne peuvent être rembarrés que par une barrière externe (la contrainte de soi). Ces deux sortes d’émotions, même ceux qui sont avancés dans la science du Principe en éprouvent occasionnellement les attaques, et doivent encore se prémunir contre elles ; combien plus ceux qui comme vous ont vécu longtemps sans connaître le Principe, et sont peu avancés. — Hélas ! dit Nan-joung-tchou découragé, quand un paysan est tombé malade, il conte son mal à un autre, et se trouve, sinon guéri, du moins soulagé. Tandis que moi, chaque fois que je consulte sur le grand Principe, le mal qui tourmente mon cœur augmente, comme si j’avais pris un médicament contraire à mon mal. C’est trop fort pour moi. Veuillez me donner la recette pour faire durer ma vie ; je me contenterai de cela. — Et vous croyez, dit Lao-tzeu, que cela se passe ainsi, de la main à la main ? Faire durer la vie suppose bien des choses. Êtes-vous capable de conserver votre intégrité physique, de ne pas la compromettre ? Saurez-vous toujours distinguer le favorable du funeste ? Saurez-vous vous arrêter, et vous abstenir, à la limite ? Pourrez-vous vous désintéresser d’autrui, pour vous concentrer en vous-même ? Arriverez-vous à garder votre esprit libre et recueilli ? Pourrez-vous revenir à l’état de votre première enfance ? Le nouveau né vagit jour et nuit sans s’enrouer, tant sa nature neuve est solide. Il ne lâche plus ce qu’il a saisi, tant sa volonté est concentrée. Il regarde longuement sans cligner des yeux, rien ne l’émouvant. Il marche sans but et s’arrête sans motif, allant spontanément, sans réflexion. Être indifférent et suivre la nature, voilà la formule pour faire durer sa vie. — Toute la formule ? demanda Nan-joung-tchou. ... Lao-tzeu reprit : C’est là le commencement de la carrière du sur-homme, ce que j’appelle le dégel, la débâcle, après quoi la rivière commence à prendre son cours. Le sur-homme vit, comme les autres hommes, des fruits de la terre, des bienfaits du ciel. Mais il ne s’attache ni à homme, ni à chose. Profit et perte le laissent également indifférent. Il ne se formalise de rien, ne se réjouit de rien. Il plane, concentré en lui-même. Voilà la formule pour faire durer sa vie. — Toute la formule ? demanda Nan-joung-tchou. ... Lao-tzeu reprit : J’ai dit qu’il fallait redevenir petit enfant. En se mouvant, en agissant, l’enfant n’a pas de but, pas d’intention. Son corps est indifférent comme un bois sec ; son cœur est inerte comme de la cendre éteinte. Pour lui, ni bonheur, ni malheur. Quel mal peuvent faire les hommes, à celui qui est au dessus de ces deux grandes vicissitudes du destin ? L’homme logé si haut dans l’indifférence, voilà le sur-homme.


D.   Dans ce qui suit, c’est probablement Tchoang-tzeu qui parle. Celui dont le cœur a atteint cet apogée de l’immuabilité émet la lumière naturelle (raison pure, sans rien de conventionnel) qui lui révèle ce qui peut encore rester en lui d’artificiel. Plus il se défait de cet artificiel, plus il devient stable. Avec le temps, l’artificiel disparaîtra entièrement, le naturel seul restant en lui. Les hommes qui ont atteint cet état s’appellent fils célestes, peuple céleste ; c’est-à-dire hommes revenus à leur état naturel, redevenus tels que le ciel les avait faits primitivement. — Cela ne s’apprend ni par théorie, ni par pratique, mais par intuition ou exclusion. S’arrêter là