Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/772

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où l’on ne peut pas en apprendre davantage (et se tenir, dit la glose, dans l’indifférence et l’inaction), c’est être parfaitement sage. Celui qui prétendrait passer outre (décider, agir, au hasard), le cours fatal des choses le brisera, (car il entrera inévitablement en conflit avec le destin). — Quand toutes les provisions ont été faites et toutes les précautions prises pour l’entretien du corps, quand on n’a provoqué autrui par aucune offense, alors, si quelque malheur arrive, il faudra l’attribuer au destin, non aux hommes, et par suite se garder de l’éviter en faisant quelque bassesse, se garder même de s’en chagriner dans son cœur. Il est au pouvoir de l’homme de fermer hermétiquement la tour de son esprit (son cœur) ; il est en son pouvoir de la tenir close, à condition qu’il n’examine ni ne discute ce qui se présente, mais refuse simplement l’accès. — Chaque acte de celui qui n’est pas parfaitement indifférent est un désordre. L’objet de l’acte, ayant pénétré dans son cœur, s’y loge et n’en sort plus. À chaque acte nouveau, nouveau désordre. — Quiconque fait à la lumière du jour ce qui n’est pas bien, les hommes l’en puniront à l’occasion. S’il l’a fait dans les ténèbres, les mânes l’en puniront à l’occasion. Se rappeler que, quand on n’est pas observé par les hommes, on l’est par les mânes, fait qu’on se conduit bien, même dans le secret de sa retraite. — Ceux qui ont souci de leur vie ne se remuent pas pour devenir célèbres. Ceux qui brûlent d’acquérir se répandent au dehors. Les premiers sont hommes de raison, les seconds sont hommes de négoce. On voit ces derniers se hausser, se hisser, s’efforçant de parvenir. Ce sont des magasins à préoccupations, à soucis. Ils en sont si pleins, qu’il n’y a plus place, dans leur cœur, même pour l’amour de leurs semblables. Aussi sont-ils détestés comme n’étant plus des hommes. — De tous les instruments de mort, le désir est le plus meurtrier ; le fameux sabre Mouo-ye n’a pas tué tant d’hommes. Les pires assassins, sont, dit-on, le yinn et le yang, auxquels nul n’échappe, de tous les hommes qui peuplent l’entre-deux du ciel et de la terre. Et pourtant, de vrai, si le yinn et le yang tuent les hommes, c’est que les appétits des hommes les livrent à ces assassins.


E.   Le Principe un et universel subsiste dans la multiplicité des êtres, dans leurs genèses et leurs destructions. Tous les êtres distincts sont tels par différenciation accidentelle et temporaire (individuation) d’avec le Tout, et leur destinée est de rentrer dans ce Tout, dont leur essence est une participation. De ce retour, le vulgaire dit que les vivants qui étant morts n’en trouvent pas le chemin, errent comme fantômes ; et que ceux qui étant morts ont trouvé le chemin, sont défunts (éteints). Survivance, extinction, ce sont là deux manières de parler d’un retour identique, qui proviennent de ce qu’on a appliqué à l’état d’être non sensible les notions propres à l’être sensible. La vérité est que, sortis par leur génération du néant de forme (l’être indéterminé), rentrés par leur trépas dans le néant de forme, les êtres conservent une réalité (celle du Tout universel) mais n’ont plus de lieu ; ils gardent une durée (celle du Tout éternel) mais n’ont plus de temps. La réalité sans lieu, la durée sans temps, c’est l’univers, c’est l’unité cosmique, le Tout, le Principe. C’est dans le sein de cette unité que se produisent les naissances et les morts, les apparitions et les disparitions, silencieuses et imperceptibles. On l’a appelée la porte céleste ou naturelle, porte d’entrée et de sortie de l’existence. Cette porte est le non-être de forme, l’être indéfini. Tout en est sorti. L’être sensible ne peut pas être en dernière