Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/796

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par l’allégorie suivante : Soit une limace. Cette limace a deux cornes. Sa corne de gauche est la principauté du roi Brutal ; sa corne de droite, est l’apanage du roi Sauvage. Ces deux royaumes sont sans cesse en guerre. Les morts, sans nombre, jonchent le sol. Quinze jours après sa défaite, le vaincu cherche déjà sa revanche. — Balivernes ! dit le roi de Wei. — Pardon ! dit Tai-tsinnjenn. O roi, considérez-vous l’espace comme limité dans quelqu’une de ses six dimensions ? — Non, dit le roi ; l’espace est illimité, dans les six dimensions. — Ainsi, dit Tai-tsinnjenn, l’immense espace, n’a pas de limites ; est ce que les deux petites principautés de Wei et de Ts’i ont des frontières ? — Non, dit le roi, pas fort en dialectique, et jugeant qu’il ne pouvait pas concéder au plus petit ce qu’il avait refusé au plus grand. — Pas de frontières, donc pas de litige, dit Tai-tsinnjenn. Maintenant, ô roi, veuillez me dire en quoi vous différez du roi Sauvage de la corne de droite ? — Je ne vois pas, dit le roi. — Tai-tsinnjenn sortit, laissant le roi absolument ahuri. Quand Hoei-tzeu rentra, le roi lui dit : Ça c’est un homme supérieur : un Sage ne saurait pas que lui répondre. — Ah oui ! dit Hoei-tzeu. Quand on souffle dans une clarinette, il en sort un son éclatant ; quand on souffle dans la garde (creuse, en forme de conque) d’une épée, il n’en sort qu’un murmure. Si Tai-tsinnjenn était estimé à sa valeur, les éloges qu’on donne à Yao et à Chounn se réduiraient à un murmure, l’éloge de Tai-tsinnjenn retentissant comme une clarinette. — Les affaires de Wei et de Ts’i en restèrent là.


E.   Confucius, se rendant à Tch’ou, prit gîte à I-k’iou, chez un fabricant de condiments. Aussitôt, dans la maison voisine, on monta sur le toit (plat, pour regarder dans la cour de la maison où Confucius était descendu.) Pourquoi ces gens-là ont-ils l’air effaré ? demanda le disciple Tzeu-lou qui accompagnait Confucius. C’est, dit celui-ci, la famille d’un Sage, qui se cache volontairement dans le peuple et vit dans l’obscurité. L’élévation morale de cet homme est sublime. Il la dissimule d’ailleurs soigneusement, ne parlant que de choses banales, sans trahir le secret de son cœur. Ses vues différant de celles du commun de ce temps, il ne fraye guère avec les hommes. Il s’est enseveli vivant ici, à la manière de I-leao. — Puis je aller l’inviter à venir nous voir ? demanda Tzeu-lou. — Ce sera peine perdue, dit Confucius. Il vient de monter sur le toit pour s’assurer si c’est vraiment moi qui passe. Comme je m’adonne à la politique, il doit avoir fort peu envie de converser avec moi. Sachant que je vais visiter le roi de Tch’ou, il doit craindre que je ne révèle sa retraite, et que le roi ne le force à accepter un emploi. Je gage qu’il vient de se mettre en lieu sûr. — Tzeu-lou étant allé voir, trouva la maison désertée.


F.   L’intendant des cultures de Tchang-ou dit à Tzeu-lao, disciple de Confucius : Si jamais vous êtes chargé d’un office, ne soyez ni superficiel ni méticuleux. Jadis, pour la culture, j’ai donné dans ces deux travers ; labour insuffisant, sarclage excessif, d’où récoltes peu satisfaisantes. Maintenant je laboure profondément, puis je sarcle modérément ; d’où récoltes surabondantes. — Tchoang-tzeu ayant su cela, dit : Actuellement, dans la culture de leur corps et de leur esprit, beaucoup de gens tombent dans les fautes indiquées par cet intendant. Ou ils labourent d’une manière insuffisante le sol de leur nature, et le laissent envahir par les passions. Ou ils le sarclent sans discernement, arrachant ce qui est à conserver, détruisant leurs qualités