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Je ne veux rien devoir à Tzeu yang. — Peu de temps après, Tzeu-yang fut tué par la populace, dans une émeute[1].


E.   Le roi Tchao de Tch’ou ayant été chassé de son royaume, Ue le boucher de la cour l’accompagna dans sa fuite Quand le roi eut recouvré son royaume, il fit distribuer des récompenses à ceux qui l’avaient suivi. Le tour du boucher Ue étant venu, celui ci refusa toute rétribution. J’avais perdu ma charge avec le départ du roi, dit il ; je l’ai recouvrée avec son retour ; je suis donc indemnisé ; pourquoi me donner encore une récompense ? — Le roi ayant ordonné aux officiers d’insister, le boucher dit : N’ayant mérité la mort par aucune faute, je n’ai pas voulu être tué par les rebelles, voilà pourquoi j’ai suivi le roi ; j’ai sauvé ma propre vie, et n’ai rien fait qui fût utile au roi ; à quel titre accepterais-je une récompense ? — Alors le roi ordonna que le boucher fût introduit en sa présence, comptant le décider lui-même à accepter. Ce qu’ayant appris, le boucher dit : D’après la loi de Tch’ou, seules les grandes récompenses accordées à des mérites extraordinaires sont conférées par le roi en personne. Or moi, en fait de sagesse je n’ai pas empêché la perte du royaume, en fait de bravoure j’ai fui pour sauver ma vie. À proprement parler, je n’ai même pas le mérite d’avoir suivi le roi dans son infortune. Et voilà que le roi veut, contre la loi et la coutume, me recevoir en audience et me récompenser lui-même. Non, je ne veux pas qu’on dise cela de lui et de moi. — Ces paroles ayant été rapportées au roi, celui-ci dit au généralissime Tzeu-k’i : Dans son humble condition, ce boucher a des sentiments sublimes. Offrez-lui de ma part une place dans la hiérarchie des grands vassaux. — Tzeu-k’i lui ayant fait cette offre, Ue répondit : Je sais qu’un vassal est plus noble qu’un boucher, et que le revenu d’un fief est plus que ce que je gagne. Mais je ne veux pas d’une faveur qui serait reprochée à mon prince comme illégale. Laissez-moi dans ma boucherie ! — Quoi qu’on fît, Ue tint bon et resta boucher. Exemple d’indépendance morale taoïste.


F.   Yuan-hien habitait, dans le pays de Lou, une case ronde en pisé, entourée d’une haie d’épines, et sur le toit de laquelle l’herbe poussait. Un paillasson fixé à une branche de mûrier fermait mal le trou servant de porte. Deux jarres défoncées, encastrées dans le mur, closes par une toile claire tendue, formaient les fenêtres de ses deux cellules. Le toit gouttait, le sol était humide. Dans cet antre misérable, Yuan-hien, assis, jouait de la cithare, content. — Tzeu-koung alla lui faire visite, monté sur un char si large qu’il ne put pas entrer dans sa ruelle, vêtu d’une robe blanche doublée de pourpre. Yuan-hien le reçut, un bonnet déchiré sur la tête, des souliers éculés aux pieds, appuyé sur une branche d’arbre en guise de canne. À sa vue, Tzeu-koung s’écria : Que vous êtes malheureux ! — Pardon, dit Yuan-hien. Manquer de biens, c’est être pauvre. Savoir et ne pas faire, c’est être malheureux. Je suis très pauvre ; je ne suis pas malheureux. — Tzeu-koung se tut. Yuan-hien ajouta : Agir pour plaire au monde, se faire des amis particuliers sous couleur de bien général, étudier pour se faire admirer, enseigner pour s’enrichir, s’affubler d’un déguisement de bonté et d’équité, se promener en somptueux équipage, tout ce que vous faites ce sont là choses que moi je ne me résoudrai jamais à faire.

  1. Comparer Lie-Tzeu chapitre 8 D.