Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/834

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administratif. Puis T'ang renversa et exila son souverain Kie, Ou détrôna et mit à mort l’empereur Tcheou. Depuis lors, jusqu’à nos jours, les forts ont opprimé les faibles, la majorité a tyrannisé la minorité. Tous les empereurs et princes ont troublé le monde, à l’instar des premiers de leur espèce. Et toi K’iou, tu t’es donné pour mission de propager les principes du roi Wenn et de l’empereur Ou, tu prétends imposer ces principes à la postérité. C’est à ce titre que tu t’habilles et te ceins autrement que le commun, que tu pérores et que tu poses, dupant les princes, poussant tes intérêts personnels. Tu es sans contredit le premier des malfaiteurs, et, au lieu de m’appeler moi, par excellence, le brigand Tchee, le peuple devrait t’appeler toi, le brigand K’iou. ... J’en appelle aux résultats de ton enseignement. Après avoir enjôlé Tzeu-lou, tu lui as fait déposer ses armes, tu l’as fait étudier. Le monde étonné se dit, K’iou sait adoucir les violents. L’illusion ne dura pas. Ayant tenté d’assassiner le prince de Wei, Tzeu-lou périt de male mort, et son cadavre salé (pour qu’il se conservât plus longtemps), fut exposé sur la porte orientale de la capitale de Wei. Continuerai-je à énumérer les succès de l’homme de talent, du grand Sage, que tu te figures être ? A Lou on se défit de toi deux fois. De Wei tu fus expulsé. A Ts’i on faillit te faire un mauvais parti. Entre Tch’enn et Ts’ai, on t’assiégea. L’empire tout entier refuse de donner asile au maître qui fit saler son disciple Tzeu-lou. En résumé, tu n’as su être utile, ni à toi, ni aux autres, et tu prétends qu’on ait de l’estime pour ta doctrine !.. Cette doctrine, dis tu, n’est pas ma doctrine. Elle remonte, par les anciens souverains, jusqu’à Hoang-ti. Fameux parangons, sur le compte desquels le vulgaire seul peut se tromper. Déchaînant ses passions sauvages, Hoang-ti fit la première guerre, et ensanglanta la plaine de Tchouo-lou. Yao fut mauvais père. Chounn fut mauvais fils. U vola l’empire pour le donner à sa famille. T’ang bannit son souverain. Ou tua le sien. Le roi Wenn se fit emprisonner à You-li. Voilà les six parangons, dont tu imposes l’admiration au vulgaire. Considérés de près, ce furent des hommes, que l’amour de leur intérêts fit agir contre leur conscience et contre la nature ; des hommes dont tous les actes sont dignes du plus profond mépris. ... Et tes autres grands hommes, ne périrent ils pas tous victimes de leur bêtise ? Leurs utopies furent cause que Pai-i et Chou-ts’i moururent de faim et restèrent sans sépulture. Son idéalisme fut cause que Pao-tsiao se retira dans les forêts, où on le trouva mort, à genoux, embrassant le tronc d’un arbre. Son dépit de n’être pas écouté, fut cause que Chenn-t’ou-ti s’attacha une pierre sur le dos et se jeta dans le Fleuve, où les poissons et les tortues le dévorèrent. Le fidèle Kie-tzeu-t’oei, qui avait été jusqu’à nourrir son duc Wenn avec un morceau de sa cuisse, fut si sensible à l’ingratitude de celui-ci, qu’il se retira dans les bois, où il périt par le feu. Wei-cheng ayant donné rendez vous à une belle sous un pont, se laissa noyer par l’eau montante, plutôt que de lui manquer de parole. En quoi, je te le demande, le sort de ces six hommes différa-t-il du sort d’un chien écrasé, d’un porc égorgé, d’un mendiant mort de misère ? Leurs passions causèrent leur mort. Ils auraient mieux fait d’entretenir leur vie dans la paix. ... Tu donnes encore en exemple des ministres fidèles, comme Pi-kan et Ou-tzeusu. Or Pi-kan, mis à mort, eut le cœur arraché ; Ou-tzeusu dut se suicider, et son corps fut jeté à la rivière. Voilà ce que leur fidélité valut à ces fidèles, de devenir la risée du public. ... Donc, de tous les exemples vécus que tu invoques en preuve de ton système, aucun n’est fait pour me convaincre, bien