Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/852

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bonheur que je vous aie rencontré ! Quelle faveur du ciel ! Ah ! maître, ne me jugez pas indigne de devenir votre serviteur, afin qu’en vous servant j’aie l’occasion d’en apprendre davantage. Dites-moi, s’il vous plaît, où vous demeurez. J’irai demeurer chez vous, pour achever de m’instruire. — Non, dit le vieillard. L’adage dit : ne révèle les mystères qu’à qui est capable de te suivre ; ne le révèle pas à qui est incapable de les comprendre. Vos préjugés sont trop invétérés pour être guérissables. Cherchez ailleurs. Moi je vous laisse .. Et ce disant, le vieillard donna un coup de gaffe, et disparut avec sa barque parmi les verts roseaux. —   F.   Cependant Yen-yuan avait préparé le char pour le retour, Tzeu-lou présentait l’embrasse. Mais Confucius ne pouvait se détacher du rivage. Enfin, quand le sillage de la barque fut entièrement aplani, quand aucun bruit de gaffe ne parvint plus à son oreille, il se décida, comme à regret, à prendre place dans son char. Tzeu-lou qui marchait à côté, lui dit : Maître, voilà longtemps que je vous sers. Jamais je ne vous ai vu manifester autant de respect et de déférence à qui que ce soit. Reçu par des princes et par des seigneurs, traité par eux en égal, vous avez toujours été hautain et dédaigneux. Et voici qu’aujourd’hui, devant ce vieillard appuyé sur sa gaffe, vous avez fléchi vos reins à angle droit pour l’écouter, vous vous êtes prosterné avant de lui répondre. Ces témoignages de vénération n’avaient-ils pas quelque chose d’excessif ? Nous, disciples, en sommes surpris. A quel titre ce vieux pêcheur était-il digne de pareilles démonstrations ? — Incliné sur la barre d’appui, Confucius soupira et dit : You, tu es décidément incorrigible ; mon enseignement glisse, sans effet, sur ton esprit par trop grossier. Approche et écoute ! Ne pas vénérer un vieillard, c’est manquer aux rites. Ne pas honorer un Sage, c’est manquer de jugement. Ne pas s’incliner devant la vertu qui rayonne dans un autre, c’est se faire tort à soi-même. Retiens cela, butor !... Et si cela est vrai de toute vertu, combien plus est-ce vrai de la science du Principe, par lequel tout ce qui est subsiste, dont la connaissance est vie et l’ignorance mort. Se conformer au Principe donne le succès, s’opposer à lui c’est la ruine certaine. C’est le devoir du Sage d’honorer la science du Principe partout où il la rencontre. Or ce vieux pêcheur la possède. Pouvais-je ne pas l’honorer comme j’ai fait ?