Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/856

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aimez tant la doctrine ? Vous devriez m’être reconnaissant !.. Depuis lors Hoan reçut ses offrandes. — Ceci prouve que l’auteur des hommes (le Principe) ne rétribue pas tant en eux les intentions, que l’accomplissement par eux du destin. Hoan, en faisant de son frère un sectateur de Mei-ti, était mû par un sentiment de bas égoïsme, comme ceux qui interdisent aux autres de boire de l’eau de leur puits. Cependant, en ce faisant, il agit bien, car le destin voulait que son frère devint un sectateur de Mei-ti, et le reste. Il échappa donc au châtiment du ciel, comme disaient les anciens. Son action lui fut imputée, son intention ne lui fut point imputée.


C.   Le Sage diffère du commun, en ce qu’il se tient tranquille et évite ce qui le troublerait. Le vulgaire fait tout le contraire, cherchant le trouble, fuyant la paix. — Pour qui a connu le Principe, il faut encore n’en pas parler, ce qui est difficile, dit Tchoang-tzeu. Savoir et se taire, voilà la perfection. Savoir et parler, c’est imperfection. Les anciens tendaient au parfait. Tchou-p’ingman apprit de Tcheu-lii l’art de tuer les dragons. Il paya la recette mille taëls, toute sa fortune. Il s’exerça durant trois ans. Quand il fut sûr de son affaire, il ne fit ni ne dit jamais rien. — Alors à quoi bon ? Quand on est capable, il faudrait le montrer, dit le vulgaire. ... Le Sage ne dit jamais il faudrait. ... Des il faudrait, naissent les troubles, les guerres, les ruines. — Empêtré dans les détails multiples, embarrassé dans les soucis matériels, l’homme médiocre ne peut pas tendre vers le Principe de toutes choses, vers la grande Unité incorporelle. Il est réservé au sur-homme de concentrer son énergie sur l’étude de ce qui fut avant le commencement, de jouir dans la contemplation de l’être primordial obscur et indéterminé, tel qu’il fut alors qu’existaient seulement les eaux sans formes jaillissant dans la pureté sans mélange. Ô hommes, vous étudiez des fétus et ignorez le grand repos (dans la science globale du Principe).


D.   Un certain Ts’ao-chang, politicien de Song, fut envoyé par son prince au roi de Ts’inn. Parti en assez modeste équipage, il revint avec une centaine de chars, chargés des cadeaux reçus du roi de Ts’inn, auquel il avait plu extrêmement. Il dit à Tchoang-tzeu : Jamais je ne pourrais me résoudre à vivre comme vous dans une ruelle de village, mal vêtu et mal chaussé, maigre et hâve à force de faim et de misère. J’aime mieux courtiser les princes. Cela vient encore de me rapporter cent charretées de présents. — Tchoang-tzeu répondit : Je sais le tarif du roi de Ts’inn. Au chirurgien qui lui ouvre un abcès il donne une charretée de cadeaux ; il en donne cinq charretées à celui qui lui lèche ses hémorroïdes. Plus le service qu’on lui rend est vil, mieux il le paye. Qu’avez vous bien pu lui faire pour recevoir encore plus que celui qui lui lèche ses hémorroïdes ? Débarrassez-moi de votre présence !


E.   Le duc Nai de Lou demanda à Yen-ho : Si je faisais de Tchoung-ni (Confucius) mon premier ministre, mon duché s’en trouverait-il bien ? — Il se trouverait en grand danger, dit Yen-ho. Tchoung-ni est un homme de petits détails (un peintre d’éventails), beau discoureur, se grimant pour plaire, s’agitant pour faire effet. Il n’admet que ses propres idées et ne suit que ses imaginations. Alors quel bien pourrait il faire à votre peuple ? Si vous le faisiez ministre, vous ne tarderiez pas à vous en repentir. Détourner les hommes du vrai, et leur enseigner le faux, cela ne profite pas. Et puis, dans ce qu’il fait, cet homme cherche son propre avantage. Agir ainsi, ce n’est pas