Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/868

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Il se moqua de l’estime du monde pour les habiles, et de son engouement pour les Sages. Sans principes théoriques définis, il s’accommodait de tous et de tout. Les distinctions du bien et du mal, du licite et de l’illicite, n’existaient pas pour lui. Il n’admettait les conseils de personne, ne tenait compte d’aucun précédent, faisait fi absolument de tout. Pour agir, il attendait qu’une influence extérieure le mît en mouvement ; comme la plume attend pour voler que le vent la soulève, comme la meule attend pour moudre qu’on la fasse tourner. ... Chenn-tao eut raison et tort. Il eut raison, quand il condamna la science, en tant qu’elle engendre l’entêtement doctrinal, l’embarras des opinions, les coteries et les partis. Il eut tort, et on eut raison de rire de lui, quand il exigea des hommes qu’ils ne fissent pas plus d’usage de leur intelligence qu’une motte de terre. Poussé à ce degré d’exagération, son système se trouva plus fait pour les morts que pour les vivants. — T’ien-ping soutint la même erreur, ayant été, comme Chenn-tao, disciple de P’eng-mong, qui la tenait de son maître. Ce maître fut cause qu’ils crurent tous que les anciens ne s’étaient pas élevés plus haut que la négation pratique de la distinction entre bien et mal, entre raison et tort ; parce qu’il omit de leur enseigner qu’ils nièrent cette distinction, pour avoir découvert l’unité primordiale. Or comme, si on ne s’élève pas jusqu’à l’unité, il n’est pas possible de se rendre compte de la non-distinction, le fait que P’eng-mong et les siens niaient la distinction sans donner de preuve les mit en conflit avec tout le monde. Leur doctrine fut incomplète, défectueuse. Ils eurent pourtant quelque idée du Principe, et approchèrent du taoïsme.


E.   Parlons maintenant de l’école de Koan-yinn-tzeu et de Lao-tzeu. ... Chercher la pure causalité dans la racine invisible des êtres sensibles, et considérer ces êtres sensibles comme de grossiers produits. Considérer leur multitude comme moins que leur Principe. Demeurer recueilli en son esprit dans le vide et la solitude. Ce sont là les maximes des anciens maîtres de la science du Principe. Ces maximes, Koan-yinn et Lao-tan les propagèrent. Ils leur donnèrent pour ferme assise la préexistence de l’être infini indéterminé, l’union de tout dans la grande unité. Du principe de l’être, de l’union universelle, ils déduisirent que les règles de la conduite humaine devaient être la soumission, l’acquiescement, le non-vouloir et le non-agir, laisser-faire pour ne pas nuire. — Koan-yinn dit : A celui qui n’est pas aveuglé par ses intérêts, toutes choses apparaissent dans leur vérité. Les mouvements de cet homme sont naturels comme ceux de l’eau. Le repos de son cœur en fait un miroir dans lequel tout se concentre. Il répond à tout événement, comme l’écho répond au son. Il se retire, il s’efface, il s’accommode de tout, il ne veut rien pour lui. Il ne prend le pas sur personne, mais tient à être toujours le dernier. — Lao-tan dit : Tout en conservant son énergie de mâle, se soumettre comme la femelle. Se faire le confluent des eaux. Étant parfaitement pur, accepter de paraître ne l’être pas. Se mettre au plus bas dans le monde. Alors que chacun désire être le premier, vouloir être le dernier et comme la balayure de l’empire. Alors que chacun désire l’abondance, préférer l’indigence, rechercher la privation et l’isolement. Ne pas se dépenser. Ne pas s’ingérer. Rire de ceux que le vulgaire appelle les habiles gens. Ne se compter rien comme mérite, mais se contenter d’être irrépréhensible. Se régler toujours sur le Principe, et respecter ses lois. Eviter jusqu’à l’apparence de la force et du talent, car les forts sont brisés et les tranchants sont émoussés par