Page:Leon Wieger Taoisme.djvu/870

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leurs ennemis et leurs envieux. Être pour tous large et amiable. Voilà l’apogée. — O Koan-yinn ; ô Lao-tan, vous êtes les plus grands hommes de tous les âges !


F.   Parlons maintenant de Tchoang-tcheou (Tchoang-tzeu). ... Les anciens taoïstes traitèrent tous de l’être primitif obscur et indistinct, de ses mutations alternantes, des deux états de vie et de mort, de l’union avec le ciel et la terre, du départ de l’esprit, de ses allées et venues. Tchoang-tcheou s’empara de ces sujets, et en fit ses délices. Il en parla, à sa manière, en termes originaux et hardis, librement mais sans faire schisme. Considérant que les hommes comprennent difficilement les explications relevées abstraites, il recourut aux allégories, aux comparaisons, à la mise en scène des personnages, aux répétitions d’un même sujet sous diverses formes. Négligeant les détails de moindre importance, il s’attacha surtout au point capital de l’union de l’esprit avec l’univers. Pour ne pas s’attirer de discussions inutiles, il n’approuva ni ne désapprouva personne. Étincelants de verve, ses écrits ne blessent pas. Pleins d’originalité, ses propos sont sérieux et dignes d’attention. Tout ce qu’il dit est plein de sens. Deux thèses surtout eurent ses préférences, à savoir la nature de l’auteur des êtres (du Principe), et l’identité (phases successives) de la vie et de la mort. Il a parlé sur l’origine, avec largeur, profondeur et liberté ; et sur l’ancêtre (le Principe), avec ampleur et élévation. Sur la genèse des êtres et l’évolution cosmique, ses arguments sont riches et solides. Il se joue dans les insondables obscurités.


G.   Parlons maintenant du sophiste Hoei-cheu (Hoei-tzeu). ... Ce fut un homme à l’imagination fertile. Il écrivit de quoi charger cinq charrettes (on écrivait alors sur des lattes en bois). Mais ses principes étaient faux, et ses paroles ne tendaient à aucun but. Il discutait en rhéteur, soutenant ou réfutant des propositions paradoxales dans le genre de celles ci : La grande unité, c’est ce qui est si grand qu’il n’y a rien en dehors ; la petite unité, c’est ce qui est si petit, qu’il n’y a rien en dedans. Ce qu’il y a de plus mince a mille stades d’étendue. Le ciel est plus bas que la terre ; les montagnes sont plus planes que les marais. Le soleil en son plein est le soleil couchant. Un être peut naître et mourir en même temps. La différence entre une grande et une petite ressemblance, c’est la petite ressemblance-différence ; quand les êtres sont entièrement ressemblants et différents, c’est la grande ressemblance-différence. Le Sud sans limites est borné. Parti pour Ue aujourd’hui, j’en suis revenu hier. Des anneaux joints sont séparables. Le centre du monde est au nord de Yen (pays du nord) et au sud de Ue (pays du sud). Aimer tous les êtres unit au ciel et à la terre. — Hoei-cheu raffolait de ces discussions, qui lui valurent, par tout l’empire, la réputation d’un sophiste habile. À son imitation, d’autres s’exercèrent aux mêmes joutes. Voici des exemples de leurs thèmes favoris : Un œuf a des poils. Un coq a trois pattes. Ying tient l’empire. Un chien peut s’appeler mouton. Les chevaux pondent des œufs. Les clous ont des queues. Le feu n’est pas chaud. Les montagnes ont des bouches. Les roues d’un char ne touchent pas la terre. L’œil ne voit pas. Le doigt n’atteint pas. Terme n’est pas fin. La tortue est plus longue que le serpent. L’équerre n’étant pas carrée, le compas n’étant pas rond, ne peuvent pas tracer des carrés et des ronds. La mortaise n’enferme pas le tenon. L’ombre d’un oiseau qui vole ne se meut pas. Une flèche qui touche la cible, n’avance plus