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Tchoang-Tzeu, chap. 33 G.

et n’est pas arrêtée. Un chien n’est pas un chien. Un cheval brun, plus un bœuf noir, font trois. Un chien blanc est noir. Un poulain orphelin n’a pas eu de mère. Une longueur de un pied, qu’on diminue chaque jour de moitié, ne sera jamais réduite à zéro. — C’est sur ces sujets et d’autres semblables, que ces sophistes discutèrent leur vie durant, sans être jamais à court de paroles. Hoan-t’oan et Koung-sounn-loung excellèrent à donner le change, à semer des doutes, à mettre les gens à quia, mais sans jamais convaincre personne de quoi que ce soit, enlaçant seulement leurs patients dans le filet de leurs fallacies, triomphant de voir qu’ils n’arrivaient pas à se débrouiller. Hoei-cheu usa tout son temps et toute son intelligence à inventer des paradoxes plus subtils que ceux de ses émules. C’était là sa gloire. Il se savait très fort, et se disait volontiers sans pareil au monde. Hélas ! s’il avait le dessus, Hoei-cheu n’avait pas raison pour cela… Un jour un méridional malin du nom de Hoang-leao lui demanda de lui expliquer pourquoi le ciel ne s’effondrait pas, pourquoi la terre ne s’enfonçait pas, pourquoi il ventait, pleuvait, tonnait, et le reste ? Gravement et bravement, Hoei-cheu entreprit de satisfaire ce farceur. Sans un moment de réflexion préalable, il se mit à parler, parler, parler encore, sans prendre haleine, sans arriver à aucun bout. Contredire était son bonheur, réduire au silence était son triomphe. Tous les sophistes et rhéteurs avaient peur de lui… Pauvre homme ! sa force ne fut que faiblesse, sa voie fut un sentier étroit. Comme efficace, son activité prodigieuse ne fut, à l’univers, pas plus que le bourdonnement d’un moustique, un bruit inutile. S’il avait employé son énergie à s’avancer vers le Principe, combien cela eût mieux valu ! Mais Hoei-cheu ne fut pas homme à trouver la paix dans des considérations sérieuses. Il s’éparpilla en vains efforts, et ne fut qu’un rhéteur verbeux. Il fit tout le contraire de ce qu’il eût fallu faire. Il cria pour faire taire l’écho, et courut pour attraper son ombre[1]. Pauvre homme !


  1. Comparez chapitre 31 C.