Page:Leopardi - Poésies complètes, trad. Vernier, 1867.djvu/72

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descendît pas dans les flots attiédis, visible à son regard, pour laver sur son sein de neige et sur ses bras de vierge l'immonde poussière de la chasse sanguinaire.

L’herbe, les fleuves et les bois ont été des êtres vivants. Les airs, les nuages, la lune ont connu la famille humaine, au temps où, sur les rivages et les collines, ô flambeau de Cypris ! le voyageur, l’œil fixé sur toi, se laissait guider par ta clarté et croyait que, compagne fidèle, tu t’intéressais à lui. Tel autre, fuyant les impures liaisons des villes, les affronts et les querelles funestes, s’il sen- tait tout à coup, à travers l’obscure forêt, un tronc hérissé heurter sa poitrine, croyait qu’une vive flamme parcourait les veines de l’arbre: il entendait respirer les feuilles, et dans une douloureuse étreinte palpiter secrètement le cœur de Daphé et la triste Philis ; ou bien il croyait entendre les gémissements de l’inconsolable progéniture de Climène, qu’Apollon noya dans l’Eridan.

Et vous, rochers sévères, vous ne restiez pas insensibles aux lugubres accents de la douleur