Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/264

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jours malheureux, la nature revient, et alors accuse-t-elle un coup qui n’est pas le sien ?

Les heureux animaux ignorent leurs fautes et leurs propres maux : une vieillesse sereine les amène au pas qu’ils n’ont pas prévu. Mais si la douleur leur conseillait de se briser le front contre les troncs rudes ou de s’élancer du haut d’un rocher à pic dans les airs, aucune loi secrète ni aucun génie ténébreux ne s’opposerait à leur misérable désir. Vous seuls, parmi tous les êtres à qui le ciel donna la vie, seuls de tous, ô fils de Prométhée, vous vous dégoûtez de la vie ; à vous seuls, ô malheureux, si le lâche destin vous pèse, à vous seuls Jupiter dispute les rives des morts.

Et toi, blanche lune, tu te lèves de la mer qui rougit notre sang et tu explores la nuit inquiète et la plaine funeste à la valeur ausonienne. Le vainqueur foule les poitrines de ses proches, les collines frémissent et des sommets élevés tombe l’antique Rome. Es-tu donc si impassible ? Tu as vu la naissance des fils de Lavinie, les armées heureuses et les lauriers mémorables, et sur les Alpes tu verseras, muette, tes immuables rayons quand le nom italien sera esclave et que la ville solitaire sera de nouveau foulée des pieds barbares.

Voici que, parmi les rochers nus ou sur les rameaux verts, la bête fauve et l’oiseau, le cœur plein de leur ordinaire oubli, ignorent cette ruine profonde et les changements de la destinée du