Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/267

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Tu vis donc, tu vis, ô sainte nature ? et l’oreille désaccoutumée de ta voix maternelle en recueille le son ? Jadis les rives furent le séjour, le paisible séjour des blanches nymphes, et les fontaines furent leur miroir. Des danses mystérieuses de pieds immortels ébranlèrent les sommets escarpés et les hautes forêts (aujourd’hui nid solitaire des vents), et, le berger, qui, à l’ombre incertaine de midi, menait ses brebis altérées au bord fleuri des fleuves, entendit le long des rives résonner le chant harmonieux des Pans agrestes ; il vit trembler l’onde et s’étonna : invisible, la déesse qui porte le carquois descendait dans les flots tièdes et lavait son flanc de neige et ses bras de vierge de l’immonde poussière de la chasse sanglante.

Oui, un jour les fleurs et l’herbe ont vécu, les bois ont vécu. Les airs légers, les nuages et la lampe titanienne connurent la race humaine, alors que, nue sur les plages et les collines, ô lumière de Cypris, dans la nuit déserte, le voyageur te suivait, les yeux fixés sur toi, comme une compagne de sa route, et s’imaginait que tu pensais aux mortels. Que si, fuyant les impures liaisons des villes, les colères fatales et les hontes, cet autre heurtait sa poitrine à un tronc hérissé et perdu dans le fond des bois, il croyait qu’une flamme vivante circulait dans les veines pâles de l’arbre, que les feuilles respiraient, que dans une douloureuse étreinte soupiraient en secret Daphnis et la