Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/276

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donné aucune part à la malheureuse Sapho. Habitante vile et importune de tes superbes royaumes, ô Nature, et amante méprisée, c’est en vain que suppliante je tourne mon cœur et mes regards vers tes formes charmantes. La rive pleine de soleil ne me rit pas, non plus que la blancheur matinale de la porte éthérée. Ni le chant des oiseaux aux mille couleurs, ni le murmure des hêtres ne me saluent. Le fleuve qui à l’ombre des saules inclinés déroule son sein pur et cristallin, retire avec dédain ses ondes sinueuses de mon pied glissant et presse dans sa fuite ses bords odorants.

Quelle faute, quel excès sacrilège me souillèrent avant ma naissance, pour que le ciel et la fortune m’aient montré un visage si farouche ? En quoi péché-je toute enfant, à l’âge où l’on ignore le crime, pour qu’ensuite, sans jeunesse, sans fleur, le fil d’airain de ma vie se déroulât ainsi au fuseau de la Parque indomptée ? Mais ta lèvre répand des paroles imprudentes : un dessein obscur meut les événements marqués par le destin. Tout est mystère, hormis notre douleur. Race négligée, nous naissons pour les pleurs et la raison en reste au sein des dieux. Ô soins, ô espérances des vertes années ! Le Père a donné aux apparences, aux agréables apparences une éternelle royauté parmi les nations, et de viriles entreprises, une docte lyre ou un docte chant ne peuvent faire briller la vertu, si son vêtement est humble.