Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t1, 1880, trad. Aulard.djvu/286

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dant je demande combien il me reste à vivre et je me jette sur la terre, et je crie, et je frémis. Ô jours horribles en un âge aussi vert ! Hélas, non loin, dans la rue, j’entends le chant solitaire de l’artisan qui revient sur le tard, après les récréations, à son pauvre logis, et cruellement mon cœur se serre en songeant comme tout passe au monde, passe sans laisser presque de trace. Voilà que s’est enfui le jour de fête, et au jour de fête le jour vulgaire succède, et le temps emporte tout événement humain. Où est maintenant le bruit de ces peuples antiques ? Où est le cri de nos ancêtres fameux, et le grand empire de cette Rome avec ces armes et ce fracas qui remplit la terre et l’océan ? Tout est paix et silence et tout repose au monde et on ne parle plus d’eux. À mon premier âge, à l’âge où on attend avec impatience le jour de fête, quand ce jour était passé, dans ma veille douloureuse je pressais mon lit, et bien tard dans la nuit un chant, qu’on entendait par les sentiers mourir peu à peu en s’éloignant, me serrait déjà le cœur de la même façon.