Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/169

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LA NATURE.

Dans l’âme des hommes, et, proportion gardée, dans celle de tous les autres animaux, on peut dire que c’est presque une seule et même chose : car la perfection de l’âme comporte une plus grande intensité de vie, qui elle-même comporte un sentiment plus grand de l’infélicité, ce qui revient à dire une plus grande infélicité. Semblablement, plus les âmes vivent, plus elles s’aiment, quelle que soit la nature ou la forme de cet amour-propre : cet accroissement d’amour-propre comporte un plus grand désir de félicité, un plus grand mécontentement d’en être privé, une plus grande douleur aux disgrâces qui surviennent. Tout cela est contenu dans l’ordre primitif et éternel des choses créées, que je ne puis altérer. En outre, la finesse de ton intelligence et la vivacité de ton imagination t’empêcheront, en grande partie, d’être maîtresse de toi. Les bêtes emploient aisément aux fins qu’elles se proposent toutes leurs facultés et toutes leurs forces. Mais il est rare que les hommes fassent tout ce qu’ils peuvent, empêchés qu’ils sont par la raison et par l’imagination, qui leur créent mille doutes pour délibérer, mille retards pour exécuter. Les moins habiles et les moins habitués à s’examiner, à se peser eux-mêmes, sont les plus prompts à se résoudre, les plus puissants à agir. Mais tes pareilles, enveloppées continuelle-