Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/19

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de te perdre pour toujours. Hélas ! je te quitte à jamais. Mon cœur se brise à ce mot. Je ne verrai plus ces yeux, je n’entendrai plus ta voix ! Dis-moi : mais avant de me laisser pour l’éternité, Elvire, ne voudras-tu pas me donner un baiser ? un seul baiser dans toute ma vie ? On ne refuse pas à celui qui meurt la grâce qu’il demande. Je ne pourrai pas me vanter de ce don, moi, ce mourant dont aujourd’hui, tout à l’heure, une main étrangère fermera à jamais les lèvres. » Il dit, soupira et, suppliant, posa ses lèvres froides sur cette main adorée.

La belle dame resta irrésolue et dans une attitude pensive. Elle tenait son regard, brillant de mille caresses, fixé sur celui du malheureux, où luisait une larme suprême. Elle n’eut pas le cœur de repousser cette demande et d’aigrir par un refus ce triste adieu : elle fut vaincue par sa pitié pour ces ardeurs qu’elle connaissait bien. Et ce visage céleste et cette bouche si désirée, objet de songes et de soupirs pendant tant d’années, s’approchèrent doucement de ce visage affligé et décoloré par la douleur mortelle, et elle imprima plusieurs baisers, en toute bonté et en toute compassion, sur les lèvres frémissantes de son amant tremblant et ravi.

Que devins-tu alors ? sous quel aspect apparurent à tes yeux la vie, la mort et la douleur, moribond Gonzalve ? Il tenait encore la main de