Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/212

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jours qui me restent et avoir la permission de faire un triage, c’est-à-dire de jeter toutes les noires et de les ôter de ma vie, et de ne me réserver que les blanches : et pourtant je sais qu’elles ne feraient pas un gros tas et qu’elles seraient d’un blanc bien trouble.

Le physicien.

Beaucoup d’hommes, au contraire, quand toutes leurs pierres seraient noires et incomparablement noires, voudraient pouvoir y en ajouter d’autres, même aussi noires : parce qu’ils tiennent pour certain qu’aucune pierre n’est aussi noire que la dernière. Et ces hommes-là, dont je suis, pourront en effet ajouter beaucoup de pierres à leur vie en pratiquant l’art qui est enseigné dans mon livre.

Le métaphysicien.

Que chacun pense et agisse à son humeur : la mort aussi ne manquera pas de faire à son gré. Mais si tu veux, en prolongeant la vie, être vraiment utile aux hommes, invente un art qui multiplie le nombre et la force de leurs actions et de leurs sensations. De la sorte, tu accroîtras réellement la vie humaine, et, en comblant ces intervalles démesurés où nous durons plutôt que nous ne vivons, tu pourras te vanter de la prolonger, et cela sans aller en quête de l’impossible et sans