Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t2, 1880, trad. Aulard.djvu/66

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plus minces, son esprit a moins de force et de capacité.

Toi non plus, Aspasie, tu n’as jamais pu imaginer ce que tu as inspiré toi-même à ma pensée. Tu ne sais pas quel amour démesuré, quels chagrins intenses, quels indicibles mouvements, ni quels délires tu as fait naître en moi ; et jamais le jour ne viendra où tu pourras le comprendre. De même l’exécuteur d’un morceau de musique ignore ce que son jeu et sa voix produisent chez ceux qui l’écoutent. Maintenant elle est morte, cette Aspasie que j’aimai tant. Elle git pour toujours, jadis objet de ma vie : toutefois, fantôme chéri, elle revient de temps en temps et disparaît. Tu vis, non seulement belle encore, mais si belle, à mes yeux, que tu surpasses toutes les autres. Cependant cette ardeur qui naquit de toi est éteinte : car ce n’est pas toi que j’aimai, mais cette déesse qui vivait jadis dans mon cœur, et qui y est maintenant ensevelie. C’est elle que j’adorai longtemps ; j’aime à ce point sa céleste beauté, que, connaissant bien ta nature et ton essence, tes artifices et tes mensonges, je contemplais néanmoins ses beaux yeux dans les tiens, je m’attachai à toi tant qu’elle vécut, non pas trompé, mais amené par le plaisir de cette douce ressemblance à supporter un long et âpre esclavage.

Maintenant vante-toi : tu le peux. Raconte que tu es la seule de ton sexe devant qui j’aie plié ma