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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/147

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pouvons nous délivrer que par la mort de cette infélicité nouvelle qui résulte pour nous de l’altération de notre état. Car pour ce qui est de retourner à l’état primitif et à la vie désignée par la nature, cela serait bien difficile et peut-être impossible pour l’extérieur : quant au moral, ce qui importe le plus, ce serait certainement impossible. Qu’y a-t-il de moins naturel que la médecine, je parle de celle qui s’exerce par les mains comme de celle qui opère par le moyen des remèdes ? En effet, toutes deux, la plupart du temps, dans les opérations qu’elles font, dans les matières, dans les instruments, dans les méthodes dont elles usent sont très éloignées de la nature, et tout à fait inconnues aux bêtes et aux hommes sauvages. Néanmoins, comme les maladies qu’elles cherchent à guérir sont également hors de la nature et n’ont lieu que par suite de la civilisation, c’est-à-dire de la corruption de notre état, ces actes, si peu naturels qu’ils soient, sont très opportuns, très nécessaires même et passent pour tels. De même, si cet acte, qui consiste à se tuer et qui nous délivre de l’infélicité causée par la corruption, est contraire à la nature, il ne s’en suit pas qu’il soit blâmable : à des maux non naturels il faut un remède non naturel. Ce serait chose dure et inique que la raison, qui pour nous rendre plus malheureux que nous ne le sommes naturellement, a coutume de contrarier la nature