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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/153

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si grande que soit notre corruption, si diminuée que soit en nous la puissance de la nature, cependant cette nature n’est pas réduite à rien, et nous ne sommes point changés ni renouvelés au point qu’il ne reste en nous une grande partie de l’homme antique : quoiqu’en ait notre sottise, il ne pourra jamais en être autrement. Ce que tu appelles erreur de calcul, véritable erreur en effet, aussi grande que palpable, est commis continuellement, et non seulement par les gens stupides et idiots, mais par les gens intelligents, doctes et sages, et sera commis éternellement, à moins que notre race ne soit détruite, non plus par nos raisonnements et nos œuvres, mais par la nature elle-même, qui l’a créée. Et crois-moi : il n’est pas de dégoût de la vie, de désespoir, de sentiment du néant des choses, de la vanité de nos affaires, de la solitude de l’homme ; il n’est pas de haine du monde et de soi-même, qui puisse durer beaucoup, quoique ces dispositions de l’âme soient très raisonnables et les dispositions contraires, absurdes. Cependant, au bout de peu de temps, les dispositions physiques changent légèrement, et peu à peu, souvent même tout d’un coup, par des causes minimes et presque impossibles à noter, on reprend goût à la vie, on sent naître telle ou telle espérance nouvelle ; les choses humaines revêtent leur ancien aspect et ne se montrent plus indignes qu’on s’en occupe, non