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Page:Leopardi - Poésies et Œuvres morales, t3, 1880, trad. Aulard.djvu/68

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naissance, ils le font principalement en vertu de l’exemple, parce qu’ils voient rire les autres. Et je croirais volontiers que la première occasion et la première cause de rire, ç’a été, pour les hommes, l’ivresse : autre effet propre et particulier au genre humain. L’ivresse se produisit longtemps avant que les hommes en fussent venus à aucune sorte de civilisation, car nous savons qu’on ne trouve presqu’aucun peuple, si grossier qu’il soit, qui ne se soit procuré quelque boisson pour s’enivrer, et qui n’ait l’habitude d’en user avec passion. Il ne faut pas s’en étonner : considérons que les hommes, s’ils sont les plus malheureux de tous les animaux, sont aussi les plus charmés par toute aliénation non douloureuse de leur esprit, par l’oubli d’eux-mêmes, par la suspension, pour ainsi dire, de la vie : le sentiment et la connaissance de leurs propres maux s’interrompent ou se diminuent pour quelque temps, et c’est pour eux un grand bienfait. Et pour ce qui est du rire, on voit que les sauvages, quoique d’aspect sérieux et triste dans les autres moments, cependant rient à profusion dans l’ivresse : ils parlent aussi beaucoup et chantent, contre leur usage. Mais je traiterai ces choses plus abondamment dans une histoire du rire que j’ai l’intention de faire : là, quand j’aurai cherché la naissance du rire, je continuerai en racontant ses faits, aventures et fortunes jusqu’au temps présent, où il se trouve en plus grande dignité et