Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/161

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ont été interrompues au moment de l’affaire Dreyfus, mais l’antagonisme que je m’estimais en droit de manifester contre l’agitateur redoutable du pays et l’avocat, trop éloquent, d’une cause que je condamnais, ne m’a jamais empêché de conserver, pour l’homme, une grande sympathie, et, pour l’écrivain, une inaltérable admiration, dont ce livre est un des témoignages. L’auteur, dès ce roman, semblait maître de sa doctrine. Il déclarait qu’il avait voulu étudier des tempéraments, et non des caractères, et qu’il avait choisi des personnages souverainement dominés par leurs nerfs et leur sang. Il remplaçait, dans sa tragédie bourgeoise, la Fatalité du monde antique parla loi fatale de l’atavisme, de la chair, des nerfs, de la névrose. Il reconnaissait que ses personnages, Thérèse et Laurent, étaient « des brutes humaines et rien de plus… » . Il ne cachait pas avoir voulu que l’âme fût absente de ces corps détraqués, livrés à tous les furieux assauts de la passion, barques sans gouvernail emportées dans la tempête des sens. Qu’on lise ce roman avec soin, disait-il dans la préface de la 2e édition (15 avril 1868), on verra que chaque chapitre est l’étude d’un cas curieux de physiologie. En un mot, je n’ai eu qu’un désir : étant donné un homme puissant et une femme inassouvie, chercher en eux la bête, ne voir même que la bête, les jeter dans un drame violent et noter scrupuleusement les sensations et les actes de ces êtres. J’ai simplement fait, sur deux corps vivants, le travail analytique que les chirurgiens font sur des cadavres… Ce sera la théorie de toute sa vie et la méthode de toute son œuvre. Il entendait faire métier de clinicien écrivain et non d’amuseur public. Les romans qu’il portait en lui, et dont Thérèse Raquin formait le préambule,