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Page:Lepelletier - Émile Zola, 1908.djvu/214

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die qui avait pour titre : les Héritiers Rabourdin. La pièce n’avait pas trop bien marché le premier soir, et mes confrères, non plus que moi, nous n’avions pu dissimuler l’insuccès. Vous m’écrivîtes pour me prier d’y retourner, m’affirmant que le grand public, le vrai, avait cassé notre arrêt, qu’il emplissait la salle tous les soirs, et qu’il riait de tout son cœur. Je me rendis à votre invitation, et, pour vous faire la partie belle, je choisis un dimanche. La salle, hélas ! était aux trois quarts vide, et du diable si j’ai entendu personne rire. Mais je ne doute pas que vous, de ces yeux qui sont toujours tournés en dedans sur votre désir, vous n’eussiez vu la salle comble, et que vous n’eussiez entendu, de vos oreilles ouvertes à l’écho de votre pensée, ses universels éclats de rire. Vous avez un talent si merveilleux que vous réussissez parfois à imposer comme vraies ces chimériques visions de votre esprit ; vous nous faites illusion au point que, sur votre foi, nous croyons voir toutes roses les crevettes à qui la nature a oublié de donner cette jolie couleur. Ce n’est pas une raison pour railler les malheureux qui les voient grises. Et maintenant, mon cher Zola, parlons un peu plus sérieusement, si vous voulez. Cette polémique, attardée sur des vétilles, n’est digne ni de votre grand talent ni, j’ose le dire, de la situation que le public a bien voulu me faire dans ce petit coin de la littérature, où j’exerce la critique. Nous valons mieux que cela l’un et l’autre, et permettez-moi de m’étonner que vous ne l’ayez pas senti. J’ai eu, depuis près de trente années que j’écris dans les journaux, affaire à tous les maîtres du théâtre contemporain. Mes feuilletons ne leur ont pas toujours plu, cela va sans dire. Quelques-uns m’ont fait l’honneur de s’en expliquer avec moi ; aucun n’a eu le mauvais goût d’afficher pour mes critiques, justes ou fausses, un impertinent mépris. Aucun ne m’a parlé du peu d’aplomb de ma « caboche », aucun ne m’a dit que je torchais mes articles sur un coin de table. Ils m’ont pris au sérieux, parce qu’ils étaient convaincus que je parlais sérieusement de choses que je tenais pour sérieuses. Comment ! Vous qui savez le prix du travail, vous qui avez conquis lentement, par un labeur acharné, une des plus grandes renommées de ce temps, comment se fait-il que vous affectiez de traiter ainsi par-dessous jambe, un homme qui, lui